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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Françoise Héritier le goût des autres

La première biographie de Françoise Héritier

La première biographie de Françoise Héritier

Aujourd’hui je vais évoquer Françoise Héritier le goût des autres, formidable biographie écrite par Laure Adler. La journaliste historienne est familière du genre, elle a notamment publié en 2011 Françoise (sur la femme de presse et de pouvoir Françoise Giroud). Elle est aussi l’auteure d’un texte intime très émouvant sur un deuil impossible intitulé A ce soir.

La protagoniste de cette nouvelle biographie, Françoise Héritier, est une anthropologue française décédée en 2017 qui a succédé à Claude Lévi-Strauss au Collège de France quand le maitre de la discipline a pris sa retraite. Elle a notamment publié (ouvrages grand public, de véritables révélations pour moi) Les deux sœurs et la mère, Masculin/Féminin en deux tomes. A la fin de sa vie elle a rencontré un grand succès de librairie avec Le sel de la vie et Le goût des mots (textes que je n’ai pas lus). Sa biographe était aussi son amie depuis plusieurs décennies, ce lien fort entre les deux femmes transparait tout au long de l’ouvrage sans que cela nuise à la qualité et à l’objectivité du récit. Laure Adler remonte aux origines de Françoise née en 1933 en Auvergne et grandie dans une famille modeste. Les liens familiaux, pour celles dont les premiers travaux portent en particulier sur les structures de la parenté, sont rapidement distendus puisque la jeune fille n’accepte pas d’être reléguée au sort des femmes de son époque et aspire à travailler et à ne pas suivre le modèle du mariage imposé encore prédominant alors. Ses premiers terrains de recherche sont réalisés en Afrique plus particulièrement chez les Samo. Force est de reconnaitre que : « l’Afrique devient son continent : par le cœur, par la peau, à la vie, à la mort. De ce continent, elle attend d’être transformée, épanouie, accomplie. » L’ouvrage se lit avec plaisir, Laure Adler mêle parcours professionnel et personnel. Elle rencontre Françoise Héritier quand elle est elle-même étudiante et suit certains de ses séminaires ; jusqu’au décès de Françoise, Laure est présente à ses côtés en particulier dans les épreuves de la vie et son texte est truffé d’anecdotes personnelles délicieuses. Ce livre s’apparente à un exercice d’amitié et de remerciement, un hommage et un témoignage pour que l’œuvre de Françoise Héritier ne soit pas négligée. Elle écrit : « elle fut une précurseuse, une grande théoricienne de la pensée, tout en étant une citoyenne engagée. Jamais elle ne se ménagea, ni physiquement ni mentalement. » Son travail de chercheuse dans la continuité des théories de Lévi-Strauss à qui elle rend constamment hommage même quand sa pensée conceptuelle s’en éloigne est stimulant. Voici en quelques mots des éléments de son savoir : « c’est de la culture que vient la famille et non de la nature. L’inégalité entre les sexes n’est pas d’ordre biologique mais idéologique et elle est le fruit d’un rapport de forces. » Il est intéressant de constater combien sa position de femme lors de son accession à des postes importants a suscité jalousie et incompréhension. A ce titre, le court entretien avec Maurice Godelier est fort éclairant et peu flatteur pour cet homme par ailleurs intelligent. Héritier a réfléchi et théorisé autour de la notion d’inceste, inventant l’inceste du deuxième type, un concept d’une évidente pertinence quand elle l’explique, puis s’est intéressée à la domination masculine en établissant son universalité et en déconstruisant moult théories. Elle était également engagée à gauche, a dirigé le Conseil National du Sida, a œuvré pour le droit des prisonniers, a poursuivi bien après sa retraite son travail et son investissement sociétal. La biographie révèle aussi des aspects plus secrets de sa vie personnelle. Françoise Héritier a d’abord épousé Michel Izard, le père de sa fille, Catherine, puis ensuite elle a été très amoureuse de Marc Augé, complice intellectuel et sentimental. Sa beauté de jeunesse s’est affadie avec les ravages de la maladie dont elle était atteinte. La souffrance due à sa maladie auto-immune qui a progressivement, outre la douleur violente, limité ses possibilités de déplacement est racontée pour comprendre les brusques interruptions de ses cours. Laure Adler raconte ses hospitalisations, son absence de plainte, ses inquiétudes pour sa fille fragile et hospitalisé pour lutter contre sa volonté d’en finir. Ces pages sont émouvantes et humanisent si besoin était cette femme exceptionnelle qui culpabilise vis-à-vis de son enfant qu’elle a parfois négligée au profit de ses recherches ou de sa carrière. Françoise Héritier (que j’ai eu la chance d’entendre en conférence et en interview en plus de l’avoir lue) avait une voix captivante avec une douceur solide qui lui permettait de développer aussi bien des théories ardues que des contributions sociétales passionnantes. En guise de conclusion et de synthèse Laure Adler affirme : « Françoise a fait aux sciences humaines un legs considérable : la pensée du corps est devenue une banalité désormais, le statut des émotions est à présent légitimé, l’autobiographie, comme point d’ancrage pour la découverte du monde intellectuel et sensible, revendiquée. Elle a mis au point de nouveaux outils pour penser la domination du masculin. (...). Elle a jeté une nouvelle lumière sur le mariage, la famille, la société. Par la conjonction de ses combats féministes et d’anthropologue, elle a donné des outils théoriques à des champs de recherche nouveaux : les violences genrées, les conséquences de la domination masculine, les effets pervers de la symbolique du corps. »

Françoise Héritier le goût des autres est une admirable introduction à l’œuvre de l’anthropologue et à ses principaux travaux. Laure Adler ne cache pas son admiration et son amitié personnelle pour le sujet de sa recherche et le lecteur devine l’importance que leur lien a dû avoir pour elle qui dans cette biographie se cache derrière la protagoniste disparue.

Voilà, je vous ai donc parlé de Françoise Héritier le goût des autres de Laure Adler paru aux éditions Albin Michel.

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