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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Châtelet-Lilas

Un roman à bord de la ligne 11 du métro parisien

Un roman à bord de la ligne 11 du métro parisien

Aujourd’hui je vais évoquer Châtelet-Lilas roman souterrain de Sébastien Ortiz.

Châtelet-Lilas est le roman de la ligne 11 du métro parisien. Le narrateur, homme timide et réservé d’une quarantaine d’années, est conducteur de rame sur cette ligne longue de 6,3 kilomètres et desservant treize stations entre Châtelet et Mairie des Lilas. Le récit est découpé en douze chapitres comme autant de tronçons d’une station à l’autre du centre vers la périphérie. Assis dans sa cabine, dissimulé derrière une glace sans tain, le conducteur observe la vie dans les wagons et sur les quais. Il faut préciser qu’il est doté d’une faculté extralucide, il est capable de plonger dans les pensées des voyageurs et de scruter leurs états d’âme les plus profonds et secrets. Il lit en eux et est ainsi doué pour raconter leur réalité. Le roman ce sont des dizaines d’histoires de vie, des fragments, des instants volés, des vies entraperçues par le prisme de la bienveillance du conducteur. Il raconte le parcours avec les particularités de chaque arrêt ; il décrit les aléas et les craintes du métier avec la peur permanente d’un suicide devant la rame. Du cœur de Paris en passant par République où se croisent plusieurs lignes jusqu’à la proche banlieue dans l’est de la capitale chaque station est différente. C’est une ligne bigarrée et cosmopolite, la moins fréquentée du réseau. Ce sont autant de détails qui constituent cette évocation littéraire et technique de ces vingt et quelques minutes de transport en l’absence de défaillance ou de retard d’un terminus à l’autre. Ce roman est un hommage kaléidoscopique aux passagers de la 11, qu’ils soient réguliers ou perdus sur cette ligne ne desservant pas les attractions touristiques de la ville. Châtelet-Lilas est un roman subtil et délicieux. L’auteur décrit avec précision chacune des étapes en évoquant le décor, la topographie, l’inclinaison et les courbes de la ligne profondément enfouie. La narration n’est pas linéaire, elle suit le trajet de la ligne mais digresse et déborde. De nombreuses références érudites à la mythologie grecque ponctuent les chapitres. Cet attrait du narrateur remonte à son enfance et à un de ses professeurs. Voici un exemple de cette poésie magnifique avec la sonorité des noms : « en descendant le parterre de Latone, il ne les quittait pas du regard et se refusait à céder à leur appel. Certains bassins qui n’avaient pas été purgés à temps s’étaient vitrifiés en surface, comme celui au centre duquel ruaient, menaçantes, les juments mangeuses d’hommes de Diomède, roi de Thrace, fils d’Arès et de Pyrèné – les juments qui, dans leurs crèches homicides, sans mors, furieuses, broyaient les chairs sanglantes entre leurs mâchoires, heureuses de dévorer des hommes en leurs festins horribles. » Le conducteur est secrètement amoureux de Meghalaya qui officie au guichet en bout de ligne, il est trop timide pour lui déclarer sa flamme. Il est pressé d’arriver pour croiser son regard et fantasmer une relation onirique. Au fil des digressions des deux cents pages le narrateur reconstitue des dizaines de vies y compris la sienne avec les circonstances qui l’ont conduit à descendre dans les entrailles de la ville pour y conduire le métro.

Châtelet-Lilas propose une immersion dans le métro avec bienveillance loin des clichés sombres sur les histoires troubles des tunnels mal éclairés. A travers la vie fantasmée des passagers le conducteur raconte avec tendresse leur quotidien. Le procédé littéraire m’a fait penser à J’entends des regards que vous croyez muets d’Arnaud Cathrine qui se faisait voyeur et observateur pour deviner la vie de ses voisins de métro et de bus.

Voilà, je vous ai donc parlé de Châtelet-Lilas de Sébastien Ortiz paru aux éditions Gallimard.

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