L'enragé

Un roman coup de poing de Sort Chalendon sur une colonie pénitentiaire pour mineurs

Aujourd’hui je vais évoquer L'enragé roman vrai et poignant de Sorj Chalandon. Pour son récit il s’inspire de l’histoire de Jules Bonneau et raconte le parcours de ce gamin à peine adolescent dans les années 1930.

L’action de L'enragé se situe à Belle-Île où Jules est enfermé avec d’autres voyous et délinquants dans la Colonie. Il précise : « je suis arrivé à la Colonie pénitentiaire le 16 mai 1927. Crâne rasé pour éviter les poux. Et aussi pour me marquer. J’avais été admis chez les marins. Ils manquaient de bras à la corderie et à la menuiserie. Et je me suis retrouvé à tresser des torons de chanvre. » En réalité il est désigné dans ce lieu de privation de liberté par son surnom La Teigne. Il n’a peur de rien et se rebelle pris dans le carcan de cette prison où les mineurs sont enfermés et suppliciés. Il esquive les coups, se bat et se défend. Lucide il indique : « notre troupe de vauriens semble une armée vaincue. » Le sort de la Teigne et de ses acolytes est difficile, la tâche est ardue, les punitions et les humiliations incessantes. Le directeur et les surveillants sont des bourreaux. Le protagoniste se remémore ses débuts à Belle-Île : « une seule fois, j’ai tenté de passer le mur. Une muraille de six mètres qui encercle la colonie et nous cache l’océan. Nous étions trois. J’avais 13 ans et je venais d’arriver à Haute-Boulogne. L’idée de profiter des travaux, de se glisser dans une benne de gravats et de bois qui partirait à l’extérieur. Mes copains l’ont fait, j’ai hésité. S’évader ? Mais pour aller où ? Nous sommes sur une île. Notre échappée s’arrêterait à la plage de Port-Guen. » Pourtant il va être à l’origine d’une mutinerie qui va conduire une nuit en 1934 plus de cinquante gamins à faire le mur et s’évader. La population locale se met alors en chasse, espérant une récompense contre la remise de fuyards. Jules est parti avec son pote (mais il réfute toute notion d’amitié) le souffre-douleur des autres, le faible et le geignard. Par un concours de circonstances heureux Jules sera le seul à ne pas être repris. Il se réfugie sur un bateau et se confronte dans un duel impressionnant au patron, Ronan. Affrontement d’homme à homme dont l’issue est incertaine. Ronan est un gars bien, communiste empreint d’humanité qui va offrir sa chance à Jules. Il est à présent en dehors de la Colonie presque libre et avec l’aide de Ronan et de sa compagne (une faiseuse d’anges, infirmière à la Colonie) il va progressivement dans le secret se reconstruire. Il confie : « Ronan avait mis trois ans pour m’adopter tout à fait. De colon évadé qui défendait sa peau aux poings et au couteau j’étais devenu un pêcheur comme les autres. Un vrai mousse. » Les meurtrissures de l’enfance sont terribles, les plaies sont à vif. Jules n’est pas à l’abri de sa propre violence, il a du mal à se canaliser. Pourtant ce môme est touchant, il incarne ces enfants enfermés sous le joug des adultes et de la société répressive et violente.

L'enragé est un roman éprouvant écrit à hauteur d’enfant, c’est le point de vue du protagoniste qui s’exprime, l’histoire est vécue à travers ses yeux et non par le prisme de ceux des adultes. Sorj Chalandon à travers ce texte met en lumière l’existence de cette antichambre du bagne, il met en scène Jacques Prévert qui dans un poème évoque ce lieu et ses abus. Le roman est dur et réaliste, c’est un coup de poing littéraire.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'enragé de Sorj Chalandon paru aux éditions Grasset.