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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Les dandys de Manningham

Roman de Jan Guillou

Roman de Jan Guillou

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à un roman intitulé Les Dandys de Manningham. Son auteur suédois Jan Guillou est très connu dans son pays et en tant que journaliste a révélé dans les années soixante dix, un scandale relatif aux services secrets. Personnellement je le découvre avec ce roman qui constitue le deuxième volet de la série Le siècle des grandes aventures. Pas besoin d’avoir lu le premier tome pour apprécier l’histoire et s’y retrouver parmi les personnages. Ce volume couvre la période de 1901 à 1919, soit le début du vingtième siècle, avec notamment l’épisode meurtrier de la Grande Guerre. L’action est principalement située en Angleterre, mais quelques passages se déroulent en Europe continentale et en Afrique.

Les deux protagonistes sont Sverre un jeune ingénieur norvégien formé à Dresde en Allemagne et Albert dit Albie, un jeune lord anglais. Ils se rencontrent en Allemagne et ont rapidement la certitude absolue d’un amour passionnel et éternel. Sverre, s’est éloigné de sa famille dont une partie l’a rejeté en raison de son orientation sexuelle.  Au cours du roman il renouera avec sa mère lors de retrouvailles taiseuses et touchantes. A la toute fin, à Berlin, il retrouve un de ses frères, ce qui constitue une ouverture pour de nouvelles aventures, probablement le troisième tome de la saga. Son amant, Albie, fils de l’aristocratie anglaise, en tant qu’héritier doit tenir son rang et représenter dignement ses intérêts.

Le roman commence lors de l’arrivée du couple dans la propriété familiale de Manningham dans le Wiltshire. Albie introduit auprès des membres de la famille son invité Sverre. Tout relève du non-dit et de l’understatement à l’anglaise. Il y a d’une part les conventions sociales et de l’autre la réalité intime de la chambre à coucher. Et aussi de la salle de bain où trône une superbe baignoire dans laquelle plusieurs fois les amants se prélassent et s’enlacent ardemment. Voici un passage révélateur du style du texte : « (…) jusqu’à une salle de bains aussi vaste qu’un salon de réception de belle taille. La baignoire n’en était pas une, en réalité, mais un véritable bassin dans lequel on descendait au moyen d’un petit escalier en cuivre et en acajou. (…). Le bruit de l’eau en train de couler lui parvenant de la salle de bains qui faisait pour l’instant office de chambre d’écho s’interrompit soudain pour laisser place aux gémissements de volupté d’Albie se laissant, semblait-il, glisser dans le bassin. Soudain très attiré, Sverre arracha ses vêtements, les jeta pêle-mêle sur le sol de la chambre et passa tout nu dans la salle de bains. Albie était allongé de tout son long à la surface de l’eau, sûrement dans le but de faire admirer sa plastique masculine. Sverre descendit le rejoindre dans tout ce bleu et le prit dans ses bras ». Dans les premières années insouciantes de leur amour, les deux dandys fréquentent quelques cercles d’hommes partageant leur goût et vivent avec évidence et simplicité leurs sentiments, même s’ils s’exposent peu. Cela ne dure qu’un temps.

Il faut trouver des complicités discrètes pour convenir de fiançailles afin de tromper les soupçons et permettre à l’amour de triompher en dehors des règles imposées par la société. Sverre se rêve artiste, il peint, d’ailleurs ses premiers modèles sont les proches d’Albie. Ses portraits, pour certains légèrement osés, sont loués et vantés. Ils sont accrochés sur les murs du manoir. Lors d’un séjour à Paris en vue de rassembler des œuvres pour une exposition londonienne, des toiles sont collectées auprès de Manet, Picasso, Gauguin ou Seurat qui ne sont pas encore connus. Cela sera un four. Les pièces ne trouvent pas preneur auprès du public choqué par cette peinture moderne.

Un épisode africain est longuement raconté. Où l’on voit encore triompher la société victorienne avec ses codes et ses croyances. C’est d’ailleurs en Afrique qu’Albie à la fin de la guerre tombera au combat provoquant le désarroi et la torpeur de son amant devenu veuf. Le lecteur découvrira ces pages poignantes où l’annonce de sa mort provoque des ravages dévastateurs sur son amant devenu en quelque sorte veuf.

L’ombre tutélaire d’Oscar Wilde, ses mésaventures sexuelles et son procès planent. L’épisode de son désaveu suite à sa relation avec Lord Douglas et à sa condamnation aux travaux forcés pour grave immoralité est évoqué. Rappelons que ce dandy invétéré, délicieux pourvoyeur d’aphorismes subtils avait intenté un procès pour diffamation contre le père de son jeune amant, le marquis de Queensberry. Nous sommes en 1893, l’homosexualité est interdite en Angleterre. Sa renommée et son succès comme poète et dramaturge n’y font rien, les jurés le condamnent lourdement. Sa peine exécutée, Oscar Wilde s’exilera à Paris où il mourra seul et démuni en 1900. Les deux héros du roman représentent en quelque sorte des fils spirituels de Wilde et sont eux aussi des archétypes des dandys de l’époque.

L’art est au cœur des préoccupations des deux hommes. Le roman permet à l’auteur de confronter ses personnages aux événements historiques. Ainsi, le scandale de la première du Sacre du printemps au théâtre des Champs Elysées en 1913 est rapporté. La majorité des spectateurs est outrée, les cris et les sifflets fusent dans la salle, certains quittent les lieux avant la fin de la représentation. Toujours dans le milieu du ballet, L’après-midi d’un faune composé par Debussy au Chatelet en 1912 est évoqué. Le génial mais torturé Vaslav Nijinski, danseur étoile mythique, est élégamment portraituré. N’hésitez pas à lire ses Cahiers dans la version non expurgée parue en 1995 chez Actes sud.

Le roman dont il vient d’être question dépeint avec grâce et tact une époque ambiguë et paradoxale. A l’instar de la vie des dandys, le texte est parfois un peu lent et paresseux, mais une musique douce et suave s’en dégage. Et l’accent mis sur l’art est fort appréciable.

Voilà, je vous ai donc parlé Des Dandys de Manningham de Jan Guillou paru chez Actes sud. 

Londres où les protagonistes Sverre et Albie vivent

Oscar Wilde et Nijinski
Oscar Wilde et Nijinski

Oscar Wilde et Nijinski

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