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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

L'invincible été de Liliana

Un texte sur un féminicide au Mexique il y a trente ans

Un texte sur un féminicide au Mexique il y a trente ans

Aujourd’hui je vais évoquer L'invincible été de Liliana récit intime, personnel et féministe de Cristina Rivera Garza. L’auteur revient trente ans après les faits sur le meurtre à Mexico de sa petite sœur. Le texte est un patchwork composite, un assemblage brinquebalant de bribes et de traces mais le résultat est profondément émouvant.

L'invincible été de Liliana est un récit publié en 2011 et traduit récemment en français. La plupart des chapitres se déroulent entre 1988 et 1990 jusqu’au jour du terrible et discret assassinat de Liliana. L’auteur précise : « ma sœur, Liliana Rivera Garza, a constitué des archives minutieuses de sa vie. Ce livre s’appuie sur les cahiers, notes, bouts de papier, plans, lettres, cassettes et agendas trouvés parmi ses affaires, que personne n’avait touchés en trente ans. » Ce qui est le plus révoltant c’est qu’après tout ce temps le coupable présumé n’a pas été appréhendé ni incarcéré. En dehors d’un bref intérêt médiatique momentané pour l’affaire, ce fait divers odieux, qui à l’époque ne relevait pas de la catégorie des féminicides, cette histoire est tombée dans l’oubli. L’enquête policière princeps ne semble pas avoir abouti, sans doute par manque de motivation des autorités pour ce genre de sujet. Avec son livre Cristina Rivera Garza rend un hommage vibrant à sa sœur morte avant d’avoir été adulte et rassemble les faits principaux et reconstitue le parcours de sa cadette. Tout converge pour accuser Angel, un ex petit copain, machiste et viriliste, qui n’a pas apprécié d’être quitté. (Sa photographie, portrait d’identité en noir et blanc, est affichée pour le désigner lui qui peut-être a récidivé mais qui vis-à-vis de cet homicide n’a pas été jugé). L’auteure est toujours assaillie de culpabilité, elle qui vivait à Houston lors de la perpétration du meurtre, elle était absente pour aider sa frangine ; elle écrit : « qui, dans un monde où le mot féminicide n’existait pas, où les mots terrorisme de couple n’existaient pas, qui aurait pu dire ce que je dis maintenant sans l’ombre d’un doute : la seule différence entre ma sœur et moi, c’est que moi je ne suis jamais tombée sur un assassin ? » Incapable de totalement réaliser le deuil (sa reprise de la natation apparait salvatrice) l’écrivaine décide de se pencher sur les archives, d’interviewer des témoins, de parler avec ses parents. Elle précise : « reconstituer les derniers mois de la vie de Liliana n’est pas une tâche facile. Outre la jeune fille intelligente et lumineuse, l’amie de confiance, parfois protectrice, la pipelette rigolote qui savait guérir et blesser avec les mots ; outre l’étudiante qui se passionnait de plus en plus pour son champ d’études ; la perspicace, comme l’a décrite l’un de ses amis, la charismatique, la leader ; outre la femme qui croyait de plus en plus en elle, il y avait aussi la Liliana qui fouillait en vain... » Factuellement tout se termine ainsi : « la médecin légiste fixa l’heure officielle de sa mort à 5 heures du matin, le 16 juillet 1990. Au même moment, mes parents traversaient la mer du Nord dans un petit avion. » Le récit est chronologique à partir de l’adolescence de Liliana avec ces fragments qui permettent de suivre la jeune fille dans ses amitiés, ses amours débutantes, ses études d’architecture, ses relations familiales. Deux personnages tiennent une place première : Angel ce garçon pour qui elle éprouve des sentiments passionnels et amoureux mais dont la jalousie et le peu d’égard pour elle ne présagent rien de positif ; et Ana, la très bonne amie, dont elle est vraisemblablement amoureuse, peut-être sont-elles amantes sans que ces choses-là ne soient dites dans la société mexicaine catholique et peu ouverte d’alors. Cristina avoue à la fin de son texte : « depuis trente ans, Liliana me manque tous les jours, et chaque heure de chaque jour. Et chaque minute de chaque heure. Chaque seconde. Le deuil, pour ceux qui ont perdu des êtres chers, des femmes qui leur sont chères, à cause du terrorisme de couple, est une affaire tordue. » L’expression de terrorisme de couple est bien plus appropriée que celle de crime passionnel qui romantisait jadis ces assassinats visant des femmes pour leur sexe.

L'invincible été de Liliana est un récit poignant car universel. L’auteur évoque un féminicide qui l’a personnellement affectée puisque sa sœur en a été victime mais ce récit entre en résonance avec moult crimes similaires. La masculinité toxique est ici au cœur des événements en détruisant une vie en pleine jeunesse ; un tel texte sans aigreur mais débordant de chagrin est essentiel et probablement thérapeutique pour la survivante qui ainsi perpétue la mémoire de Liliana.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'invincible été de Liliana de Cristina Rivera Garza paru aux éditions Globe.

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