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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Les suicidés du bout du monde

Les suicidés du bout du monde

Aujourd’hui je vais évoquer Les suicidés du bout du monde enquête journalistique fascinante de Leila Guerriero. Le sous-titre est Chronique d’une petite ville de Patagonie.

Leila Guerriero est une journaliste argentine ; au début des années 2000 elle est interpellée par une nouvelle sur un étrange phénomène qui affecterait une bourgade du sud désertique du pays. Des informations font état de vagues de suicides chez des jeunes gens et signalent la mise en place d’un programme international pour tenter de les aider. Malgré la crise terrible qui frappe l’Argentine et Buenos Aires à cette époque elle décide d’enquêter et part sur place en Patagonie. Les suicidés du bout du mondeest le récit méthodique et clinique de son reportage à la rencontre des familles et des amis des disparus. Son travail consiste à reconstituer la chronologie des décès et à dresser le portrait de ceux qui sont morts et de leur environnement social et familial. Il n’existe pas de comptabilité précise des décès provoqués par la mort volontaire de ces jeunes désœuvrés. Le début du récit évoque le passage au nouveau siècle : « ce vendredi 31 décembre 1999 à Las Heras, province de Santa Cruz, le soleil était au rendez-vous. Mais à Las Heras, cette petite ville du Sud, Juan Gutiérrez, vingt-sept ans, célibataire, sans enfants, bon joueur de foot, ne verrait rien de tout cela. » La petite ville d’un millier d’habitants environ est une contrée un peu fantôme qui vit des aléas de l’exploitation du pétrole. Le lieu n’a aucun charme, le climat est dominé par le vent violent, les distractions sont rares, les dancings et les bordels sont nombreux. En effet : « Las Heras a traversé les années 1980 et le début des années 1990 dans cette abondance de pétrole, de bars et d’hommes ayant de l’argent à dépenser. » Mais ces décennies euphoriques sont suivies d’une vague de suicides inquiétante. Ainsi : « entre mars 1997 et le dernier jour de l’année 1999, douze hommes et femmes se sont suicidés à Las Heras. Onze d’entre eux avaient en moyenne vingt-cinq ans et étaient des habitants emblématiques de la ville, issus de familles modestes mais traditionnelles : le maître-nageur, le meilleur cavalier de la province, l’orphelin élevé par ses tantes et ses grands-parents. » Sur place des rumeurs autour de l’existence d’une secte qui provoquerait les suicides affolent les gens. Mais s’il est question d’une liste avec les prochaines victimes personne ne l’a jamais vue. La journaliste part à la rencontre de ceux qui ont connu les morts et elle reconstitue les bribes de ces vies disparues. Elle rencontre le gérant des pompes funèbres et écrit : « mais Navarro, le voisin des morts, apparenté à certains, connu de tous, de son écriture soignée et claire, avait noté dans des cahiers Gloria, l’âge, le nom, la date, la cause du décès et le type de cercueil : ouvert ou fermé. Il pouvait, lui, se souvenir sans peur ni pudeur car tout cela, tel quel, faisait partie de son travail, d’un travail bien fait. » Un autre témoin se souvient : « ça a été un peu surnaturel, la vague de suicides. En un temps record, toutes ces personnes très proches de nous se sont tuées. Ces morts nous ont tous affectés. Tu ne savais plus à quel saint te vouer. Aujourd’hui encore on raconte un tas de choses. Parce qu’il y a de la sorcellerie dans le coin, beaucoup de drogue, et les gens veulent tout de suite trouver et désigner un coupable. » Un habitant du lieu constate : « tu sais quel est le problème de Las Heras ? C’est qu’il n’y a pas de population stable. Avec l’histoire du pétrole, les gens vont et viennent. La ville n’a pas d’identité en tant que telle. » A l’issue de son enquête la journaliste ne résout pas le mystère mais elle a perçu l’atmosphère des lieux, la solitude et le manque de perspective positive pour les plus jeunes loin de la vie portègne, la souffrance des femmes menacées et des familles nombreuses dysfonctionnelles. Elle écrit : « c’était ça le Sud. Le sud du pays mais du monde aussi. Le bout, les confins, l’endroit où tout est loin. Et vice versa. Absolu vice versa. (...). A Las Heras, les femmes sont juste bonnes à faire des enfants, se marier à quinze ans et être grands-mères à quarante. »

Les suicidés du bout du monde est un récit fort et poignant. L’auteur fait preuve d’empathie, elle raconte sans psychologiser à outrance l’hécatombe suicidaire qui pendant plusieurs années frappe la ville isolée de Las Heras. Elle cite les travaux d’Émile Durkheim mais son reportage est ancré dans la réalité locale, dure et violente ; les femmes sont souvent des victimes et les jeunes n’ont pas d’avenir dans cette ville fantôme.

Voilà, je vous ai donc parlé des Suicidés du bout du monde de Leila Guerriero paru aux éditions Payot-Rivages.

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