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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

L'âge de la première passe

L'âge de la première passe

Aujourd’hui je vais évoquer L'âge de la première passe d’Arno Bertina. Ce récit troublant est la narration d’une expérience conduite par l’auteur lors de plusieurs séjours au Congo.

Arno Bertina précise que : « l’ambition était celle-ci : animer un atelier d’écriture qui donnerait à ces mineures la possibilité de parler d’elles. Car l’écriture peut écarter la honte ; à moi de les aider à rejoindre leur histoire malgré cette violence incrustée comme un destin auquel, à 13 ou 14 ans, elles commencent à croire dur comme fer. » Les filles dont il parle sont des adolescentes qui vivent à Pointe Noire et à Brazzaville au Congo ; la plupart sont déjà mères et gagnent leur vie en vendant leur corps pour quelques francs CFA à des hommes avides d’étancher leur désir sexuel. L’expression utilisée pour désigner leur activité lucrative est faire la vie. Force est de reconnaitre que : « comme toute activité, la prostitution trame le quotidien de la personne. Il sera fait de relations, de connivences, de démarches à entreprendre et de choses à inventer. Elle est donc malgré tout une identité, quelque chose qui aide à tenir debout. » C’est ASI (aide solidarité internationale), ONG qui travaille sur place et aide ces jeunes filles à quitter la prostitution, qui propose à l’écrivain d’animer quelques sessions sur place. Au Congo, le phénomène de la prostitution des mineures est très développé, c’est souvent l’unique ressource de survie pour ces filles déjà mères. Bertina s’interroge sur leur statut social et leur rôle ; il écrit : « la prostituée n’est pas celle devant laquelle on est moins nu car nous payons ; c’est la femme devant laquelle on est moins nu parce qu’elle a peut-être tout vu mais surtout parce que devant elle on n’est pas évalué : il ne s’agit pas qu’elle devienne dingue de nous… » L’animation de l’atelier d’écriture est au centre du récit qui compile certains des textes produits par ces jeunes filles. Les portraits sont touchants, les protagonistes sont dignes et combattives. Malgré leurs souffrances, la violence subie et la rudesse des rapports de genre, elles sont des figures attachantes et veulent s’en sortir grâce à l’intervention d’ASI. Certaines n’arrivent pas à décrocher, d’autres sont fragiles et acceptent la main tendue. Lors des séances il n’y a pas de jugement, chacune est libre d’exprimer son ressenti à sa façon. Ce qui frappe dans ces récits, plus que le comportement des hommes à leur égard, c’est le chagrin causé par le manque des parents ; ces abandons sont mal vécus, l’amour filial semble indestructible. Voici un extrait d’un témoignage bouleversant : « Taliane se confie : une fois sa mère partie, son père va la violer pendant deux ans, avant qu’à 13 ans elle trouve le courage de fuir, pour rejoindre sa mère, qui s’est remariée. Mais son beau-père va lire en cachette le journal intime de la jeune fille, et apprendre son calvaire. Dégueulasse ou idiot, il en parlera à la mère de Taliane en lui disant que pour avoir vécu ce que sa fille a vécu elle est certainement maudite. » Ce cas met en scène la réalité de la société congolaise avec ses croyances. La question de la langue est importante, l’auteur explique que le français dans lequel il conduit les ateliers n’est pas comparable aux idiomes locaux dont le champ lexical est en lien avec l’environnement culturel et social. Arno Bertina dresse un constat relativement encourageant : « quand je vois les filles, quand je vois ce qu’elles ont vécu (l’abandon) et ce qu’elles vivent (exposées à toutes les violences et déceptions), il y a quelque chose d’étonnant à constater qu’elles ne sont pas plus déséquilibrées, ou folles, qu’elles ne sont pas plus bizarres – agressives par exemple : qu’elles restent très normales. » Cette expérience d’atelier d’écriture est pour lui l’occasion de s’interroger sur la littérature et le pouvoir des mots. Il profite de ses séjours sur place pour esquisser un portrait du pays, il ébauche quelques croquis en particulier sur le rapport à la sorcellerie. Il évoque fort justement les essais de Jeanne Favret-Saada et ses formidables études sur le bocage mayennais qu’il met en résonance avec la situation qu’il constate au Congo.

L'âge de la première passe est le récit de ces semaines passées au contact de jeunes prostituées en voie de réinsertion. L’auteur, dans le bar de son hôtel, est la proie d’une jeune péripatéticienne qui tente de le séduire, lui le blanc incarnation de la figure du colon. Ce texte est sans conteste aussi une mise à nu de son auteur.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'âge de la première passe d’Arno Bertina paru aux éditions Verticales.

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