Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Jours barbares

Jours barbares

Aujourd’hui je vais évoquer Jours barbares de William Finnegan. Ce récit autobiographique raconte une vie consacrée au surf et à l’écriture. Ce sport est absolument addictif pour l’auteur qui a réalisé des milliers de sorties. Le bouquin est un pavé de plus de mille pages qui se dévore avec avidité et plaisir sans qu’il soit besoin d’être surfeur.

Cette passion devenue viscérale, William Finnegan s’y est adonné dès son plus jeune âge. Il grandit avec ses frères et sœurs en Californie à Los Angeles. Ses parents travaillent dans l’industrie cinématographique et déménagent avec leurs enfants pour un paradis du surf. Il précise : « je surfais depuis trois ans quand mon père a décroché cet emploi qui nous conduisait à Hawaï. » Il a alors treize ans et commence à dompter de grosses vagues et à fréquenter le milieu local des surfeurs. Pratiquer le surf, le récit le démontre à chaque page, c’est acquérir l’intelligence de la vague, être capable d’anticiper la formation de la houle et de ressentir la vague, d’évaluer la capacité de la prendre pour glisser sur l’arête et être propulsé vers le rivage. Le surfeur selon les conditions climatiques ne choisit pas la même planche ; la longueur et la forme sont adaptées selon les circonstances. Dans le livre le langage propre à ce monde cabalistique est dévoilé. Jours barbares ce sont quasiment cinq décennies d’une vie scandée par le surf, point central et leitmotiv principal. Afin d’assouvir son désir de surf, après le retour en Californie il abandonne temporairement ses études et est embauché comme cheminot dans une entreprise ferroviaire. Cette période de sa jeunesse donne lieu à une nostalgie émue. Il précise : « on était en 1968. Dans tout l’Occident, avec une jeunesse en effervescence, on repensait ou remettait en cause de nombreux tabous – sexe, société, autorité – et, à sa manière, le petit monde du surf se joignit à ce mouvement insurrectionnel. » Le récit offre une plongée documentée dans cette époque de liberté et de recherche de satisfaction personnelle. Plus tard, William Finnegan devient journaliste ; il parle peu de son métier, des terrains de guerre qu’il a arpentés à travers la planète. Pour cela il existe ses reportages publiés dans le New Yorker, et son combat contre l’apartheid quand il enseigne au Cap. Cet exercice de mémoire consiste essentiellement à évoquer les souvenirs des innombrables sessions sur l’eau. Le bouquin est une sorte de vague-movie, une balade au gré des océans à la recherche des spots les plus secrets et les plus impressionnants. Les longues descriptions de vagues sont empreintes de poésie, elles évoquent le corps d’une femme, les courbes et la sensualité. Ce sport a longtemps été l’apanage des happy few, ceux qui connaissaient les lieux, les vagues et consacraient l’essentiel de leur temps à se déplacer d’un endroit à l’autre pour surfer la meilleure vague possible. Le surfeur est un expert en météorologie, il traque les vents, les courants, les marées pour déterminer les conditions optimales. Avec la démocratisation et la publicité autour du surf la situation a évolué. D’ailleurs, selon Finnegan : « les surfeurs espèrent avec amertume que le surf se ringardisera un jour comme la pratique des rollers. Alors, peut-être, des millions de kooks renonceront-ils et laisseront-ils les vagues aux seuls purs et durs. Mais les multinationales qui cherchent à fourguer l’image et l’idée du surf sont bien décidées, naturellement, à promouvoir ce sport. » Jours barbares est un formidable voyage autour du globe : Hawaï, la Californie, le Pacifique Sud, l’Indonésie, les Fidji, l’Australie, l’Afrique du sud, Madère, New York. Chaque lieu recèle des vagues, chaque côte est réputée pour ses déferlantes, William Finnegan les connait toutes, il en a une mémoire prodigieuse. C’est comme si chaque vague avait laissé en lui à jamais une trace ineffaçable. Pendant de nombreuses années il a été à l’affût des vagues mythiques, c’est sans conteste aux Fidji qu’il a tutoyé des sommets ; ce spot représente l’extase du surfeur, incandescente. L’auteur ne cache pas les risques inhérents à la pratique du surf. Il raconte sa peur (accrue avec l’âge et la diminution de la condition physique), les vagues terrifiantes qui l’engloutissent, les rouleaux qui le renversent et le secouent tel une chiffe molle, les naufrages contre des rochers, les planches brisées, les muscles meurtris. Loin du cliché et des images merveilleuses le surf apparait ici dans toute sa vérité et son âpreté. Il écrit : « le surf a toujours eu pour horizon cette ligne tracée par la peur, qui le rend différent de tant de choses et, en tout cas, de tous les autres sports de ma connaissance. On peut sans doute le pratiquer avec des amis, mais, quand les vagues se font trop grosses ou qu’on a des ennuis, on ne trouve plus personne. Tout, au large, semble s’entremêler de façon perturbante. » Dans ces pages denses l’écrivain évoque ses amitiés, ses rencontres, sa vie de famille, ses souffrances. Quand il devient père, il n’abandonne pas le surf mais force est de reconnaitre qu’il est un peu plus raisonnable, mais jamais totalement. Voici quelques phrases qui résument bien l’état d’esprit de ces fanatiques dont il fait partie : « les surfeurs sont des fétichistes de la perfection. La vague parfaite, etc., etc. Ça n’existe pas. A l’instar des roses ou des diamants, les vagues sont des objets immuables de la nature. Ce sont des événements brefs et impétueux, qui interviennent à la fin d’une longue concaténation d’actions et de réactions orageuses de l’océan. »

Jours barbares est un portrait de l’auteur qui raconte sa vie rêvée, sa quête sans faille de la vague ultime, son désir de répondre à ses envies. La relation sensorielle avec les éléments et la nature est au cœur de cette addiction ; cette drogue correspond à la recherche d’adrénaline, au plaisir du surf parfait au prix de risques immenses, par exemple en sortant alors qu’un ouragan souffle. C’est une formidable bouffée d’air frais et d’embruns vivifiants. 

Voilà, je vous ai donc parlé de Jours barbares de William Finnegan paru aux éditions du sous-sol.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article