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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

L'oeil sécuritaire

Un essai sur la videosurveillance

Un essai sur la videosurveillance

Aujourd’hui je vais évoquer l’essai L'œil sécuritaire d’Elodie Lemaire. Le sous-titre est Mythes et réalités de la vidéosurveillance. Cette lecture est un complément intéressant à Vous êtes filmés ! de Laurent Mucchielli. L'œil sécuritaire propose le récit d’une enquête de terrain à Braville au contact des différents acteurs impliqués dans les programmes de vidéosurveillance de la cité. C’est un gros plan sur l’impact réel de cette technologie sensée prévenir la délinquance dont l’usage augmente depuis deux décennies. Avec l’exemple de Braville, ville de taille moyenne avec un réseau de bus urbain développé et quelques quartiers sensibles, l’auteur illustre les différentes utilisations possibles de la vidéosurveillance et les consignes transmises aux agents pour surveiller et contrôler au mieux le trafic routier, la délinquance et les incivilités.

La méthodologie de l’enquête repose à la fois sur des entretiens avec les différents protagonistes et sur l’observation participante in situ notamment au sein du Centre de sécurité urbaine et au tribunal. La ville lorsqu’elle a décidé de déployer ce système de réseau de caméras de surveillance a conjointement créé un service chargé de la scrutation des images produites. La sociologie des vidéo-opérateurs est intéressante, ce sont principalement des agents peu qualifiés et qui n’ont pas reçu de formation spécifique sur la sécurité. Ce sont donc des acteurs en marge qui ne sont détenteurs d’aucune légitimité en matière de sécurité. Leur activité est peu valorisée et ils voient très rarement l’apport réel aux enquêtes des images qu’ils scrutent en permanence. Certes, ils travaillent en collaboration avec les polices municipale et nationale, mais l’enquête présentée dans l’essai montre que leur fonction est très dévalorisée ce qui peut expliquer leur investissement relatif dans les tâches assignées. Les vidéo-opérateurs sont supposés déceler des infractions ou du vandalisme et utiliser au mieux la manipulation des caméras pour constituer des preuves des délits. Force est de constater qu’ils atteignent rarement cet objectif ingrat et qu’ils privilégient certaines tâches comme la transmission à la radio locale des conditions de circulation en temps réel. La rencontre avec les installateurs et les personnels en charge de la maintenance du système de vidéosurveillance est instructive. En effet, ils témoignent que la présence de caméras n’est pas la garantie de pouvoir tout voir et tout enregistrer. En fonction du type de caméras choisies et des points d’installation dans le paysage urbain ou dans les bus le champ de surveillance est limité, les pannes sont fréquentes ainsi que certains actes délictueux de dégradation. Pour leur part, les policiers et les magistrats ont un rapport ambivalent aux enregistrements vidéo. La sociologue à partir de son échantillonnage analyse la proportion d’utilisation des données lors des enquêtes de police ou dans les procès. Finalement la vidéosurveillance contribue peu à l’identification des coupables et modérément à l’avancée des enquêtes de police. Très souvent, les images ne sont pas exploitables, l’agent en charge des caméras n’a pas zoomé, l’angle de vision n’était pas le bon. Sans évoquer la difficulté de relecture de certaines vidéos en l’absence des logiciels appropriés qui décourage parfois de consulter les images. De plus, si le suspect avoue la justice n’utilise pas les supports vidéo. Une image ne saurait constituer à elle seule une preuve, elle doit s’inscrire dans un faisceau d’indices. Selon Elodie Lemaire la vidéosurveillance ne constitue pas le couteau suisse de la sécurité que ses défenseurs clament. Lors de son enquête elle a rencontré des personnes hostiles au principe de la vidéosurveillance vécue comme une possible intrusion dans l’intimité des badauds. Pourtant, à force d’arguments plus ou moins fallacieux le maire parvient à convaincre de la pertinence de ces équipements pour dit-il améliorer la sécurité au sein de la ville.

 Dans la conclusion de son étude l’auteur précise que : « les acteurs en poste derrière les caméras ne sont pas des professionnels de la sécurité et ils délaissent régulièrement les fonctions sécuritaires de la vidéosurveillance pour la rentabiliser par d’autres usages. L’enquête révèle également qu’il existe un large éventail de dispositifs et que les caméras, loin de pouvoir tout faire, souffrent de limites technologiques. Un ultime apport réside dans la mise au jour de la contribution, réelle mais encore modeste, au travail judiciaire d’un outil dont la valeur est loin d’être stabilisée dans les discours des policiers et des magistrats. » Force est d’admettre que l’idéologie sécuritaire est en expansion, cependant cette enquête permet de relativiser les bénéfices réels des couteux investissements toujours à renouveler en fonction de la modernisation de la technologie disponible.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'œil sécuritaire d’Elodie Lemaire paru aux éditions La découverte.

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