Se sentir mal dans une France qui va bien

Hervé Le Bras analyse la crise des gilets jaunes

Aujourd’hui je vais évoquer l’ouvrage d’Hervé Le Bras Se sentir mal dans une France qui va bien. Le sous-titre de cet essai est La société paradoxale. Le démographe est notamment l’auteur du Pari du FN dans lequel il mettait à profit les méthodes de sa discipline pour expliciter le vote d’extrême droite notamment en utilisant de nombreuses cartes de répartition des votes. Le point de départ de son nouvel opus est la récente crise des « gilets jaunes » qu’il expertise en confrontant les données macro économiques à la réalité de la contestation sur le terrain. L’auteur cherche à comprendre quelles sont les racines profondes de ce mécontentement qui de semaine en semaine mobilise une partie de la population jusque-là peu familière avec les manifestations et les revendications bruyantes. Comme le titre l’indique le chercheur va mettre en exergue l’opposition incontestable entre l’état réel du pays et le vécu individuel d’une frange délaissée de la population. Il indique que : « les enquêtes européennes dessinent un même portrait de la France : d’une part 94 % des français s’estiment heureux de vivre dans leur pays. Mais, simultanément, une forte proportion d’entre eux multiplie les appréciations négatives sur ce même pays et sur son avenir. » Pourquoi un tel écart existe-t-il, quel est le fondement de ce divorce ?

Cet ouvrage rapporte les résultats chiffrés de nombreuses enquêtes et s’attache à comparer la situation française à celle d’autres pays européens et également à comparer la situation présente à celle d’il y a quelques décennies. Ce qui frappe c’est le contraste entre les chiffres factuels plutôt bons et le sentiment très négatif d’une partie de la population. Ce hiatus est à l’origine du paradoxe français, la population bénéficiant globalement d’aides et de services performants mais exprimant un fort mal-être et un pessimisme exacerbé par une crainte manifeste de l’avenir. Cette démarche intellectuelle est intéressante et montre bien qu’au-delà des statistiques chaque personne reste unique et perçoit la situation du pays à l’aune de sa propre situation individuelle.

En neuf courts chapitres Hervé Le Bras propose une scrutation de plusieurs secteurs. Les graphes, cartes, schémas et tableaux viennent à l’appui de sa démonstration. La pauvreté, la santé, les prestations sociales, la politique familiale, l’espérance de vie, la sécurité, l’éducation font partie des domaines qui sont analysés. D’une part les données brutes avec par exemple les montants des aides, les modes de répartition des richesses et de l’action sociale sont présentées. Force est de constater que le système est globalement généreux et tend à combler les inégalités sociales. Mieux vaut être pauvre ou malade en France que dans bien d’autres pays. Mais face à ces chiffres la perception d’une frange défavorisée de la population est très différente, les redistributions n’empêchent pas l’inquiétude et le malheur de s’exprimer. La comparaison avec les autres pays est très instructive, force est d’admettre que la France est moins inégalitaire que nombre de ses voisins, que le système de santé y est plus performant qu’ailleurs et que les retraites versées sont supérieures à la moyenne européenne. Et pourtant la grogne perdure. Est-ce un mal français ? Bien entendu il est toujours possible de contester la pertinence de certains indicateurs, de craindre la manipulation des données. Cependant, la force de l’ouvrage repose sur le croisement des sources et sur la présentation de statistiques au long cours qui montrent la tendance avec notamment au niveau macro une amélioration de la situation vis-à-vis de la pauvreté ou de l’accès aux études supérieures. Mais ces chiffres peuvent masquer les difficultés dues au coût du logement dans les grandes agglomérations ou les frais de transport pour ceux qui vivent dans les périphéries mal desservies où la voiture est indispensable et où l’augmentation d’une taxe sur les carburants provoque le déclenchement initial de la crise actuelle. Volontairement, l’auteur ne focalise pas sur l’immigration et le chômage, il s’en explique.

Hervé Le Bras est un observateur attentif de la situation sociale française. Sans polémique il met en lumière le paradoxe révélé par la crise actuelle. Les « gilets jaunes », en tout cas au début du mouvement, ont recueilli un fort taux d’adhésion, y compris parmi la population la plus à l’abri du risque de déclassement. Le livre est bref et très accessible, la plupart des figures permettent d’un coup d’œil d’analyser les chiffres et de poser un diagnostic factuel sur la situation économique et sociale. C’est un ouvrage éclairant qui refuse de n’écouter que les cris et les revendications et met en perspective le réel et le ressenti.

Voilà, je vous ai donc parlé de Se sentir mal dans une France qui va bien d’Hervé Le Bras paru aux éditions de L’aube. sentir

Hervé Le Bras : "Les Français sont, parmi les Européens, la population la plus pessimiste"

http://www.youtube.com/watch?v=bH9O3wA26k4

Entretien avec Hervé Le Bras

"Gilets jaunes", une histoire française

https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/gilets-jaunes-une-histoire-francaise

Intervention de l'auteur

Hervé Le Bras : "On a tendance de plus en plus en France à juger d'après des cas particuliers ou d'après quelques exemples"

https://www.lci.fr/population/herve-le-bras-on-a-tendance-de-plus-en-plus-en-france-a-juger-d-apres-des-cas-particuliers-ou-d-apres-quelques-exemples-2119253.html

Débat autour de l'essai de Le Bras

Les Français vont mal dans un pays qui va bien mieux qu'ailleurs [Alexandre Mirlicourtois]

https://www.dailymotion.com/video/x78givd

Présentation de l'essai et des principales données

Le président des ultra-riches - Culture tout azimut

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Chronique sur une autre vision de la crise des gilets jaunes