Savant cherche refuge

Un essai sur le sort de savants juifs pendant le nazisme

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à l’essai de Sébastien Balibar Savant cherche refuge. L’auteur est physicien, c’est un ponte scientifique dont il est à redouter l’ésotérisme des propos s’il évoque ses recherches les plus pointues. Le sous-titre de l’ouvrage Comment les grands noms de la science ont survécu à la Seconde Guerre mondiale indique qu’il s’agit en fait d’un texte accessible présentant une approche historique d’un problème délicat. Si l’essentiel de l’essai est consacré à la période sombre du nazisme et ses conséquences directes, l’ouverture finale établit des liens avec la situation contemporaine. Les chapitres alternent les éléments contextuels et historiques et les développements plus scientifiques sur les principales recherches auxquelles les savants mentionnés ont pris part.

L’origine de Savant cherche refuge est une conférence à laquelle l’auteur est convié à participer aux Etats-Unis pour célébrer l’anniversaire de Laszlo Tisza, en 2007. Le quasi centenaire ne pourra finalement pas prendre part aux festivités en son honneur. Cet homme de science est un des fils rouges du récit. En effet, Sébastien Balibar va reconstituer les principales étapes de la vie de cet homme né en Hongrie, réfugié à Paris en 1937 puis exilé aux Etats-Unis où il s’installera et fera carrière. En s’intéressant à cet homme, l’auteur croise sur son chemin d’autres savants qui vivent des tourments similaires. Ainsi, Fritz London est le second savant mis en lumière. L’histoire est toujours à peu près la même ; en l’occurrence les savants juifs doivent fuir l’Allemagne et les pays limitrophes pour échapper aux mises à l’écart qui anticipent les politiques d’extermination à venir. La France, à l’instar de l’Angleterre, est alors une terre d’accueil pour eux. Il est intéressant de découvrir le rôle éminent de ces chercheurs au sein des équipes qui conduisent d’importants travaux en physique. Ils intègrent des laboratoires où ensemble ils construisent la science. En Amérique, Albert Einstein, également victime de l’exil face à Hitler, avec d’autres physiciens, travaille à la mise au point de la bombe nucléaire. A partir d’archives, Balibar reconstitue la lettre envoyée à Roosevelt, démontre les formidables efforts de guerre voulus par le président et documente la décision de larguer la bombe sur Hiroshima. Les enjeux historiques sont clairement exposés, les « pères de la bombe » savent la responsabilité qui repose sur eux. Aidé de l’opinion de ces savants c’est à l’homme politique de décider et d’impulser les priorités en vue d’éradiquer le nazisme.  Le rôle social du savant est crucial, le chercheur doit éclairer le décisionnaire. Une question morale se pose, faut-il contribuer à mettre au point une arme de mort pour défendre la paix ? Inéluctablement les protagonistes impliqués dans ces recherches ont été confrontés à ce dilemme. Le livre est illustré de photographies d’époque qui permettent de situer les événements et de mesurer la gloire scientifique de ces protagonistes inconnus du grand public pour la plupart.

Plusieurs chapitres du livre sont beaucoup plus techniques. L’auteur indique le rôle de ces savants dans les découvertes physiques en particulier celles relatives à l’hélium liquide et à certaines propriétés atypiques. Les efforts de vulgarisation sont notables, même si cela reste parfois abscons. Ce n’est pas grave car cela ne minimise pas le grand intérêt du bouquin qui rend hommage à des hommes persécutés à cause de leur religion et qui ont été accueillis décemment et ont pu ainsi contribuer au développement des savoirs et aider l’humanité à progresser. Sébastien Balibar est un citoyen impliqué, aujourd’hui il participe à des comités d’aides aux savants syriens qui fuient leur pays en guerre. Des similitudes sont indéniables d’une époque à l’autre ; en revanche, les modalités d’accueil des réfugiés semblent aujourd’hui plus difficiles et contraignantes, ce qui l’indigne. Son essai est donc plus qu’un hommage à de brillants physiciens persécutés par les nazis c’est un cri de révolte contre la moindre solidarité en vigueur aujourd’hui.

Ce livre est à la fois un formidable essai historique et un ouvrage plus scientifique où la théorie de la suprafluidité de l’hélium est détaillée. Le narrateur s’adresse directement aux héros discrets, le ton familier et chaleureux est posé.

Voilà, je vous ai donc parlé de Savant cherche refuge de Sébastien Balibar paru aux éditions Odile Jacob.

Savant cherche refuge

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-du-jeudi-10-janvier-2019

Evocation de l'essai de Sébastien Balibar

L'invité du 12/13 Sébastien Balibar au micro de Perrine Simon-Nahum sur RCJ

http://www.youtube.com/watch?v=JXNPfRWd5wQ

Entretien avec l'auteur