Histoire secrète du sport

Des dizaines de textes autour du sport et de sa face cachée

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Histoire secrète du sport un essai coordonné par François Thomazeau. Le sous-titre de ce pavé journalistico-historique est Une histoire des hommes de l’ombre, des vaincus, des tricheurs et autres parias sans qui le sport n’aurait pas la même saveur… Cet ouvrage est composé de plus d’une centaine de brefs chapitres organisés chronologiquement. Ces textes permettent aux auteurs d’aborder les différentes facettes, souvent les plus sombres et les moins glorieuses, du sport. Les grands thèmes traités sont le dopage, l’argent, la corruption, la triche, le business, les institutions sportives mondiales, la compétition et en filigrane la beauté du sport et des records. Force est de reconnaître que la glorieuse incertitude du sport ne règne pas ici en maitre.

L’auteur a établi quatre grandes périodes successives, ainsi qualifiées : l’ère de l’amateurisme, l’âge de la propagande, le triomphe du sport business et le temps des dérives. Parfois, certaines contributions vont au-delà de la période choisie pour chacune des parties ce qui montre le côté quelque peu arbitraire des bornes. La délimitation entre ces grandes tendances demeure floue mais néanmoins pertinente. Aucun sport n’est privilégié, l’éclectisme est de mise. Il est donc aussi bien question de football que de rugby, de boxe que de cyclisme, de natation que d’athlétisme. En guise d’introduction l’auteur précise : « le sport c’est ce phénomène social sans précédent, apparu au milieu du XIXe siècle, qui voit les activités physiques se répandre très rapidement, à la fois comme pratique individuelle et comme spectacle collectif. Les jeux d’antan sont codifiés, réglementés, la compétition est encouragée et exacerbée pour elle-même. (…). Pratique idéaliste et presque confidentielle à ses débuts, ce sport, né dans les grandes écoles britanniques, compte aujourd’hui des milliards d’adeptes. Il est devenu une industrie à part entière, qui génère chaque année un chiffre d’affaires estimé à 850 milliards de dollars en 2018. » Force est donc de constater que le sport a changé de statut en un siècle, il est passé de l’amateurisme éclairé des origines au professionnalisme vecteur d’échanges financiers toujours plus importants.

Le lecteur au fil des chapitres et des époques prend la mesure de la face sombre du sport, des excès, des dérives et des chutes. Pierre de Coubertin, à l’origine de l’olympisme moderne, défendait des valeurs qui aujourd’hui semblent négligées. Mais ce personnage lui-même n’est pas exempt de contradiction, ses positions vis-à-vis des femmes et des étrangers sont contestables, et la neutralité qu’il prônait a parfois des limites. Il est intéressant de suivre les différentes phases qui ont conduit à la situation actuelle. Parmi les sportifs cités dans le bouquin, la plupart ont été concernés par des prouesses sportives et des records mondiaux mais aussi des fraudes pour dopage ou corruption. De façon non exhaustive il faut mentionner ici Mohamed Ali, Fausto Copi, Carl Lewis, Florence Griffith-Joyner, Richard Virenque, Ben Johnson, Diego Maradona. Ces noms de champions résonnent des décennies après leurs exploits. Au-delà de leur réussite personnelle ces athlètes symbolisent les ravages du dopage, la recherche constante de l’amélioration des performances humaines quel qu’en soit le prix pour la santé. Il s’agit parfois d’une démarche individuelle de tricherie par l’intermédiaire de médecins véreux, mais cela relève également de l’organisation étatique d’un système mis en place pour affirmer à la face du monde la puissance d’une nation. La RDA et son dopage institutionnalisé étaient célèbres avant la chute du mur de Berlin, mais la Chine a également été visée et des soupçons sont formulés à l’encontre des vainqueurs français de la coupe du monde de football 1998. Les états qui tentent de mettre en place des politiques de détection des pratiques de dopage sont parfois confrontés à l’hostilité de certaines fédérations sportives. Le pouvoir de l’argent est mis en exergue ainsi que la fréquente implication des dirigeants politiques. Pendant la Guerre Froide, les compétitions internationales comme les JO ont été l’objet de boycotts alternatifs de la part des deux clans en présence. L’Afrique du Sud et son système d’apartheid a également été au cœur de polémiques impliquant des sportifs. Les compétitions sportives sont de formidables tribunes d’où les luttes acharnées pour l’obtention des épreuves sportives sur son territoire. Hitler à Berlin en 1936, les Palestiniens à Munich en 1972, les Chinois à Beijing en 2008 sont des exemples emblématiques de l’impact des stades pour transmettre une image d’un régime en place ou porter des revendications politiques.

Le sport tel qu’il est présenté dans ce bouquin est souvent une affaire d’argent, de publicité et de marketing. Ainsi, le rôle du patron historique de l’équipementier Adidas, Horst Dassler, est bien développé. Parmi les personnages d’influence à la tête notamment du CIO et de la FIFA les noms suivants sont des incontournables : Joao Avelange, Sepp Blatter, Michel Platini, Juan Antonio Samaranch. Les révélations les concernant dénoncent l’opacité du fonctionnement de ces institutions, le pouvoir délateur de l’argent et la corruption des hommes. D’autres exemples sont relatifs à la formule 1 ou aux matches de boxe.

Ce pavé est passionnant à lire, il propose une synthèse sur le long terme de faits déjà connus. Cette lecture est inquiétante puisqu’elle met l’accent sur les dérives qui touchent le milieu du sport. Les vertus du sport apparaissent ici comme négligeables. La collection de portraits de personnages plus ou moins interlopes qui gravitent autour du sport est très intéressante.

Voilà, je vous ai donc parlé d’Histoire secrète du sport de François Thomazeau paru aux éditions La Découverte.