Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Falaise des fous

Roman pictural de Patrick Grainville

Roman pictural de Patrick Grainville

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Falaise des fous un séduisant roman pictural de Patrick Grainville. Cet auteur à l’écriture ample, au style flamboyant, a notamment publié Colère. Ce nouvel opus se situe en Normandie à l’orée des années 1900. Etretat et sa fameuse falaise en est l’épicentre. Le narrateur, Charles Guillemet, raconte cette bourgade et ses peintres. Les artistes et les auteurs de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième sont les protagonistes réels invités dans cette fiction impressionniste.

Le narrateur est natif d’Etretat et à travers ses rencontres avec des artistes peintres il raconte l’incroyable fascination et l’attraction formidable qu’exerce la falaise sur eux. Sur place, au bord de mer, il a vu peindre notamment Monet et Courbet. Leurs styles sont différents mais l’un et l’autre ont immortalisé ce site magique. Charles se remémore les femmes qu’il a séduites et aimées. Il les évoque avec tendresse et passion. Dans les pages de ce pavé romanesque le siècle est convoqué et défile avec ses événements majeurs. L’auteur a une écriture visuelle il excelle dans les descriptions imagées. Ainsi, les obsèques d’Hugo avec la foule immense amassée autour du Père Lachaise ou la première guerre mondiale et les conditions extrêmes dans les tranchées où meurent des poilus innocents sont formidablement rendues. L’affaire Dreyfus est longuement traitée, le point de vue de chacun des protagonistes est exposé sans complaisance ni réécriture de l’histoire. Les débuts de l’aviation et les exploits des pionniers sont racontés et créent la légende. Dans les pages de ce roman, la plupart des personnages sont des figures connues : Hugo, Zola, Maupassant, Flaubert et Proust pour les écrivains, Cézanne, Degas, Manet, Monet et Courbet du côté des peintres. Le naturalisme et l’impressionnisme sont les courants en vogue.

Charles se souvient, nostalgique : « jadis, j’ai embarqué sur la mer un jeune homme qui devint éternel. » C’est Monet qu’il mentionne ici, son premier peintre. Et puis la situation évolue : « Monet avait disparu. Alors je fis la connaissance d’un peintre bien différent avec lequel naquit une affinité rapide. Lui aussi, décidément, en pinçait pour notre falaise ! (…). Un bourgeois qui prenait l’air me déclara avec une moue qu’il s’agissait de Gustave Courbet. Monet cessa d’exister. (…). L’apparition de Monet, à Etretat, quand je me promenais avec ma fille le long de la grève, cet automne 1917, c’était si beau, si mystérieux. » A plusieurs décennies d’intervalle Monet revient donc comme un leitmotiv impossible à occulter. C’est le peintre majeur, celui qui, à Giverny, dans son atelier au fil des années élabore la technique impressionniste et peint des fleurs merveilleuses. Charles est un homme mûr lorsqu’il rédige ces mémoires et détermine le rôle des falaises dans la folie créatrice des artistes. Face à sa page blanche il se dit : « aujourd’hui, en cet octobre doré, 1927, où j’écris, les revanches et les carnages ont succédé aux carnages avec la promesse de nouvelles vengeances et de nouveaux carnages. L’humanité aime le roulement de tambour et le ruissellement du sang. » Malgré l’art et la beauté qui est mise en exergue, ce sont les malheurs et les souffrances qui dominent.

Ce roman est celui de la création et de l’art sous toutes ses formes. Force est d’admettre l’évidence avec le narrateur : « Courbet, Rimbaud, Manet, Monet, Van Gogh… Quel grand siècle que celui de Flaubert et de Victor Hugo ! » Devenu écrivain lui-même Charles établit un bilan et affirme : « ainsi, j’aurai chanté les fous de création de ma jeunesse : Hugo, Rimbaud, Monet, Courbet, Manet, Flaubert, Maupassant… Puis, à partir de l’affaire Dreyfus, on vit monter la vague des fous du racisme antisémite et de la guerre nationaliste. Désormais, hormis l’antisémitisme, les deux côtés se fondent. Nos fous d’aujourd’hui, poètes et politiques, ont la même foi, la même folie. » Falaise des fous est un roman intense et fort documenté. L’auteur transcrit sa passion pour cette période et son goût de la peinture impressionniste. Comme l’indique le narrateur : « j’avais 63 ans. La peinture réveillait en moi la pulsion de vie juvénile, mais renforcée par les années, l’approche abrupte de la perte. La peinture m’offrait un reflet plus puissant des choses, un espace pour les aimer autrement et davantage. » Nul doute que ce narrateur fictif est apparenté à Patrick Grainville.

Voilà, je vous ai donc parlé de Falaise des fous de Patrick Grainville paru aux éditions du Seuil.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article