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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Scherbius (et moi)

Roman psychiatrique d'Antoine Bello

Roman psychiatrique d'Antoine Bello

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Scherbius (et moi) d’Antoine Bello. Ce roman est le récit d’une imposture magistrale. Le narrateur, Maxime Le Verrier, est un psychiatre parisien. L’histoire débute à la fin des années 70. Dès l’introduction, il explique comment, son cabinet tout juste ouvert, il reçoit un appel téléphonique d’un grand ponte le sollicitant pour prendre en consultation un patient singulier. Son agenda étant libre il accepte et ouvre sa porte au malade qui, au fil des décennies, va devenir son principal patient. Le médecin nouera un lien particulier avec lui, dont il témoigne dans son ouvrage intitulé Scherbius et publié aux Editions du Sens en 1978. Six versions augmentées seront ultérieurement publiées pour suivre l’évolution de la pathologie du protagoniste. Le roman d’Antoine Bello est la compilation de ces éditions successives.

Dans le premier tome Le Verrier indique : « entre le 6 octobre 1977, date de la scène que je viens de décrire, et le 14 avril 1978, j’ai rencontré Scherbius à soixante et onze reprises dans mon cabinet du boulevard Saint-Germain. » Il commence par élaborer l’anamnèse de son patient, recherche les causes possibles de sa pathologie qu’il doit caractériser. Dans une première approche il s’agit a priori d’un imposteur qui avec ruse et malice se fait passer pour celui qu’il n’est pas. Ainsi, il accueille au nom du ministre des Affaires Etrangères un monarque africain à sa descente d’avion sur la base aérienne de Villacoublay, il enrôle de jeunes hommes au nom de l’armée française, il enseigne dans un lycée sans posséder le moindre diplôme. Le psychiatre précise : « en l’espace de cinq ou six ans, Scherbius se dote d’un vernis dans tous les métiers ou presque. Il apprend à couler du ciment, piloter une grue, métrer un appartement, pointer des écritures comptables, toiletter un caniche, tirer un feu d’artifice. Dans le même mois, il est jardinier, standardiste, costumier, électricien. » La supercherie et l’imposture sont pour lui une seconde nature. Ce cas paradigmatique permet au narrateur d’étayer son assise professionnelle auprès de ses confrères, de publier des articles savants et de participer à des colloques internationaux. Pourtant, ce diagnostic initial ne suffit pas, il ne colle pas pleinement à la nomenclature du DSM américain, cet outil de classification et de diagnostic des pathologies psychiatriques. Un nouveau diagnostic s’impose, selon Maxime Le Verrier, son patient souffre en réalité de trouble de la personnalité multiple. En effet, il ne recule devant aucun canular, fomente les pires supercheries, se fait même passer pour le médecin. Les différentes versions de l’ouvrage du psychiatre montrent comment il est lui-même berné et victime de Scherbius. Ainsi il doit reconnaître qu’ « à mesure que s’estompent les effets de son navrant canular, je suis bien obligé de me demander ce qui pousse Scherbius à me persécuter de la sorte. Son outrance, sa froide détermination dénotent à coup sûr une pathologie psychiatrique. Reste à savoir laquelle. (…). On aura compris que j’ai renoncé à enfermer Scherbius dans un diagnostic, d’abord parce que mes tentatives précédentes se sont soldées par des échecs lamentables, mais surtout parce que j’ai peu à peu acquis la conviction qu’il constitue un cas à part, le produit d’un croisement de gènes capricieux, de traumatismes infantiles, de rencontres fondatrices, bref, un être unique dont le genre s’éteindra avec lui. » Le lien entre les deux hommes frôle le sadisme.

A la recherche de l’étiologie du mal dont est affecté Scherbius son docteur évoque différentes hypothèses, mais tout au long de la thérapie, le patient est réticent à aborder certains faits. Il rapporte scrupuleusement le détail des consultations et leurs échanges. Mais, comme l’affirme le narrateur : « me voilà prévenu : pour Scherbius, comme pour presque tous les patients d’ailleurs, le sujet de la sexualité est miné. La violence de sa réaction m’amène à envisager plusieurs pistes : il est encore vierge, il a essuyé des avances à l’abbaye, il a surpris des scènes défendues, etc. » Aucune réponse définitive ne sera fournie. Bien que Scherbius accepte d’être hypnotisé cela ne permet pas à Le Verrier d’étayer ses hypothèses. Comme il le dit avec défaitisme : « deux questions n’ont cessé de guider ma recherche : de quoi souffre Scherbius ? Comment compose-t-il avec cette souffrance ? » Lors d’une tentative de synthèse il établit le constat suivant : « c’est là que réside la spécificité de Scherbius. Il n’est ni le premier imposteur ni la première personnalité multiple, il est le premier imposteur à personnalités multiples, une combinaison détonante que mon devoir consiste à stabiliser avant qu’elle n’explose. » Son patient de toute une vie professionnelle est une sorte de fil rouge à sa pratique. Ils se construisent ensemble, ils évoluent concomitamment. Les époques se succèdent, les techniques thérapeutiques évoluent, le psychiatre tacle la psychanalyse, réhabilite l’hypnose, ne fait pas d’usage excessif de la pharmacopée et égratigne la suprématie du DSM. Et pourtant, à la fin, alors que Le Verrier prend sa retraite le mystère perdure.

Le texte d’Antoine Bello est à la lisière du traité de psychiatrie, du manuel médical et du roman picaresque. Le récit des séances de consultations, des impostures et des escroqueries de Scherbius sont à la fois sa gloire et sa frustration. Il a cherché avec ce patient princeps à poser un diagnostic, soigner et accompagner. Les inventions les plus farfelues et les roublardises incroyables contribuent à la drôlerie du roman dont la construction mécanique et répétitive est réussie.

Voilà, je vous ai donc parlé de Scherbius (et moi) d’Antoine Bello paru aux éditions Gallimard.

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