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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Un monstre humain ?

Essai de David Puaud sur un crime odieux

Essai de David Puaud sur un crime odieux

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à l’essai de David Puaud intitulé Un monstre humain ? Ce titre est un véritable oxymoron.  Le point d’interrogation est important dans cette tentative de reconstitution des motifs qui poussent un jeune d’une vingtaine d’années à un passage à l’acte criminel. Le sous-titre, Un anthropologue face à un crime « sans mobile », précise la position de l’auteur. Ce document est passionnant ; en effet, David Puaud raconte son expérience personnelle singulière. En tant qu’éducateur de rue dans une ville de province désindustrialisée il s’est occupé de Josué Ouvrard et de sa famille pendant plusieurs années. Il l’a accompagné en tant que référent dans différentes démarches administratives et de recherche d’emploi avec l’appui de la mission locale d’insertion. Un matin de 2007, il apprend qu’un crime odieux a été commis dans les environs, il pressent que Josué en est l’auteur. L’essai ne s’intéresse pas au fait divers en lui-même et à son abjection, mais aux coupables et plus particulièrement à Josué Ouvrard.

Avec le soutien actif de Kévin Lenôtre, il a massacré Michel Firmin, un homme sans défense au moment des faits barbares commis. Aucun mobile ne sera mis en exergue par l’enquête. David Puaud sera amené à témoigner au procès d’assises. A l’issue, Josué est condamné à perpétuité avec vingt ans de sûreté. L’éducateur est également élève anthropologue et il décide de s’intéresser au parcours de Josué Ouvrard et d’essayer de comprendre son geste à travers sa biographie et de voir s’il reste une humanité chez ce marginal désocialisé. Il explique sa démarche : « à partir de la fin 2010, j’ai commencé à retracer, sur la base de mes carnets de terrain, le suivi éducatif mené avec Josué. Parallèlement, j’ai débuté la reconstitution des débats du procès d’assises, à partir de mes notes, de coupures de journaux, mais également du dossier d’instruction. » Ce travail de doctorant est conduit sur plusieurs années, l’essai constitue une synthèse des principaux éléments. La démarche méthodologique et la perspective holistique sont bien expliquées.

L’éducateur se rend en prison pour revoir Josué après sa condamnation, il raconte : « j’arrive à 14 heures devant l’enceinte imposante de la prison aux murs grisâtres. Un léger crachin tombe du ciel. Tendu, je me présente à la porte d’entrée de la maison d’arrêt. Un mur d’au moins cinq mètres me surplombe. J’actionne un interrupteur. Un gardien me demande ma carte d’identité via un haut-parleur situé au-dessus de moi, mais je ne vois personne. Je comprends alors qu’un individu se trouve en face de moi derrière une vitre sans tain. » Quelques minutes plus tard il est devant Josué et voilà ce qu’il lui dit : « moi, ce qui m’intéresse, c’est qu’effectivement tu as commis un acte monstrueux, mais tu n’es pas un monstre. J’ai donc mené une recherche autour de ton parcours de vie à travers l’analyse des débats du procès d’assises. Je suis venu pour te voir, mais également pour avoir ton autorisation de diffuser mon travail. » Il obtiendra ce blanc-seing qui permet au lecteur de lire ces pages profondes.

La trajectoire de vie de Josué Ouvrard montre qu’il est victime du stigmate social frappant ses proches et sa famille. Son échec scolaire et sa difficulté d’insertion professionnelle dans un tissu social déchiré frappent d’emblée. Malgré les tentatives d’accompagnement et d’aide dont il bénéficie, il ne parvient pas à intégrer la société. D’ailleurs, après un contact prometteur avec l’institution militaire, son passé de délinquant et ses précédentes condamnations lui interdisent l’accès au régiment et au cadre rigoriste qu’il souhaite rejoindre. Ce nouveau refus, le dernier rejet de la société à son encontre avant le drame, marque une rupture définitive. Comme le précise l’anthropologue : « ses diverses tentatives de réinsertion le confrontent à chaque fois à cette image d’un soi dégradé, indésirable. » Cette situation, Josué n’est pas le seul à y être confronté, mais lui ne parvient pas à dépasser la mise au ban. David Puaud dresse le terrible constat suivant à propos de Josué et Kévin: « tous deux ont eu une vie chaotique, une trajectoire sociale marquée par la désaffiliation, la disqualification sociale : un parcours de vie fait de ruptures affectives, de conduites toxicomaniaques et de situations de marginalité, un parcours de galériens. » Le livre ne prétend pas expliquer l’incompréhensible. Cependant, force est de constater que : « le monstre contemporain est avant tout un monstre psychologique qui peut tuer sans mobile. Dans cette perspective, l’acte de Josué Ouvrard se situerait au-delà de l’animalité, et l’on aurait donc clairement affaire à un monstre humain. (…). Le travail de l’anthropologue vise à comprendre, non pas à juger. »

Ce récit n’est pas une tentative de déculpabilisation, mais propose une approche humaniste afin de tenter de reconstruire la trajectoire heurtée du protagoniste en insistant sur les éléments qui ont fait basculer sa vie du côté de l’illégalité. Force est d’admettre que les prémisses sont nombreux, ces indices montrant comment le jeune homme à l’environnement familial instable et dysfonctionnel s’écarte du droit chemin, plonge dans la toxicomanie, le vol, la rébellion et l’impensable : l’assassinat gratuit sur une impulsion acmé d’une vie de relégation aux marges.

Voilà, je vous ai donc parlé d’Un monstre humain ? de David Puaud paru aux éditions La Découverte.U

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