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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Poil et pouvoir

Un essai sur le rapport entre pilosité et pouvoir sur le temps long

Un essai sur le rapport entre pilosité et pouvoir sur le temps long

Aujourd’hui je vais évoquer l’essai Poil et pouvoir de Bertrand Lançon, historien spécialiste de la Rome Antique. Le sous-titre de ce précis de trichologie est L’autorité au fil du rasoir d’Auguste à Charlemagne. Dans ce bref texte l’auteur s’intéresse au lien entre pilosité et pouvoir à travers l’histoire et illustre ses propos grâce à quelques figures emblématiques. La présentation est chronologique ce qui permet de mettre en exergue les principales évolutions entre les périodes.

Cheveux courts, cheveux longs, crâne rasé ou calvitie ; visage glabre, barbe fournie ou moustache finement taillée : les possibilités d’exposition de la pilosité masculine sont nombreuses. Force est d’admettre que chaque apparence est vectrice d’une signification, fait sens et relaie un message. Ainsi, par exemple, les cheveux longs sont associés aux hippies des années post 1968 mais l’auteur rappelle qu’« une des principales caractéristiques des rois mérovingiens était le port de cheveux longs, qui leur tombaient sur les épaules ». Par conséquent, une même apparence peut relever de deux rapports opposés au pouvoir. Plus tardivement, les rois se coiffaient de lourdes perruques, la mode évolue mais reste corrélée à la signification politique et au rapport au pouvoir que la société lui attribue.

L’auteur précise que : « la pilosité étudiée dans son rapport avec le pouvoir et l’autorité ne concerne pas que les empereurs et les rois, mais aussi les philosophes, les moines et le Christ. » Son champ d’investigation est ainsi borné. Dans l’ouvrage, il est assez peu question des femmes même si Bertrand Lançon indique que la chevelure et la coiffure ont pour ces dernières aussi une signification attestée. Ainsi, la tonte de certaines femmes françaises après la seconde guerre mondiale visait à stigmatiser leur comportement pendant l’Occupation. Le pouvoir est dans le bouquin considéré au sens large et va donc au-delà des dirigeants politiques majeurs en englobant notamment les leaders spirituels. L’auteur, en se basant sur des textes, des archives et des représentations de monnaies ou de statues, montre que le port de la barbe ou de la moustache a souvent été associé à la virilité, à l’autorité et au pouvoir. En s’intéressant à la civilisation romaine il montre que les hommes de pouvoir n’ont pas tous eu la même pilosité. Il précise que : « les cheveux constituent un élément important, voire essentiel, du portrait impérial selon les critères de la beauté. » La barbe quant à elle est également associée à certains empereurs tandis que d’autres optent pour un visage totalement glabre. D’après Lançon : « comme le passage de la bouillie au pain ou du troc à la monnaie, celui d’une société hirsute au stade cosmétique avec barbier est un indicateur d’affinement de la civilisation romaine par les usages étrusques et grecs. » Selon lui il est important de ne pas négliger l’apparence physique, en particulier les cheveux et la barbe. Cette dernière est fréquemment associée au pouvoir, y compris spirituel. Pour les chrétiens, la pilosité des hommes d’église est codifiée. Ainsi il faut rappeler : « que dans l’Eglise catholique romaine, la tonsure a été rendue facultative par le motu proprio « Ministeria quaedam » du pape Paul VI, le 15 août 1972. » Avant cette date récente, les moines étaient reconnaissables à leur crâne rasé qu’ils devaient impérativement arborer. L’image de Jésus-Christ aujourd’hui est associée à un visage barbu, mais Lançon montre que : « la représentation iconographique du Christ doté d’une barbe est tardive. » Après avoir longuement traité le monde romain il précise, en quasi opposition, que : « le modèle barbare, qui se frotte à la cosmétique rangée des Romains, a pour caractéristique majeure les cheveux longs, la plupart du temps réunis en chignon sommital. » La perte des cheveux et l’apparition de la calvitie est inquiétante et menace le pouvoir des hommes. L’historien explique que : « pour les évêques et pour les rois, la décalvation signifiait une perte de pouvoir sans retour, une éviction définitive qui coïncidait généralement avec une réclusion monastique. » La période révolutionnaire est une contestation forte du pouvoir en place. Cela se traduit également d’un point de vue pileux avec un rejet des attributs antécédents. En effet : « la révolution voit choir les perruques, considérées comme aristocratiques et représentatives de l’Ancien régime. » Le dernier chapitre du livre est une digression contemporaine sur Emmanuel Macron à propos duquel l’auteur affirme qu’ : « (il) n’est pas jupitérien, mais plutôt augustéen. Le président a en effet peu à voir avec la divinité olympienne de la mythologie gréco-romaine. Les statues conservées de Jupiter représentent celui-ci barbu avec des cheveux longs et bouclés. (…). Glabre, rasé de près, coiffé court avec un soupçon de mèche et des pattes brèves et discrètes, Emmanuel Macron est aux antipodes d’un Jupiter bouclé à la barbe fournie, qui plus est volage. » L’historien utilise ses connaissances et ses analyses pour contredire une proposition médiatique qui ne résiste pas aux fourches caudines de la vérité historique. Le spécialiste de Rome tient à ce que les personnages ne soient pas confondus, surtout quand leur pilosité est en jeu.

Poil et pouvoir est un bref essai qui n’est pas capillotracté. Les démonstrations de l’auteur attirent l’attention sur le fait que ce qui est valable à une époque peut se révéler faux à une autre. A travers le panorama des personnages historiques évoqués le lecteur mesure l’importance du rapport entre pilosité (et coiffure) et pouvoir et surtout sur la prépondérance du contexte historique pour éviter tout anachronisme ou stéréotype inapproprié.

Voilà, je vous ai donc parlé de Poil et pouvoir de Bertrand Lançon paru aux éditions Arkhê.

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