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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Le grand théâtre

Un roman argentin au théâtre Colon en 1943

Un roman argentin au théâtre Colon en 1943

Aujourd’hui je vais évoquer Le grand théâtre de Manuel Mujica Lainez. Ce roman a paru en Argentine en 1980 et a été traduit en français en 1990. C’est un court texte qui raconte une soirée au théâtre Colon de Buenos Aires le soir d’une première. Ce lieu est le rendez-vous de l’aristocratie et de la bourgeoisie locale. Le spectacle n’est qu’un prétexte pour la plupart des présents finalement peu amateurs d’opéra. Ce grand théâtre est le protagoniste de ce roman.

L’action se déroule un soir de septembre 1943. La température est fraiche en ce printemps austral. Salvador Gonzalvez, jeune adolescent est le premier personnage entrant en scène dans le roman ; il a marché dans les rues de la capitale pour rejoindre le théâtre lyrique. Voilà la description du garçon : « son élégance naturelle l’emportait sur sa silhouette dégingandée. (…). Lui, si timoré, ignorait que son corps admirable, béni par les fées, effaçait l’habit de mauvaise facture, le pardessus qu’il s’évertuait à cacher. Salvador n’avait que quinze ans». Ce soir, avec une partie de sa famille qu’il retrouve au foyer du théâtre, il va assister à la première de Parsifal l’œuvre musicale de Richard Wagner, le compositeur apprécié par Hitler. Dans l’immense hall du Colon se presse le tout Buenos Aires réuni pour ce concert, loin des destructions de la guerre qui sévissent en Europe. Ce divertissement musical permet d’oublier les menaces et les dangers.

Le grand théâtre c’est évidemment le lieu où va se dérouler le spectacle lyrique mais c’est également à une échelle miniature la représentation de la société portena. Le roman est un portrait proustien de la bonne société locale, indifférente aux tourments de la planète mais préoccupée par son plaisir avec ses mesquineries, jalousies et rivalités. Le roman respecte l’unité de temps, de lieu et d’action classique. Le récit se déroule en environ cinq heures, pendant Parsifal avec le prologue, les trois actes, les deux entractes et la sortie du théâtre. Les premières notes de l’opéra s’élèvent : « des profondeurs de la fosse, une lente ondulation d’ailes et d’élytres répondit aux mouvements magiques du chef d’orchestre, comme une nuée d’invisibles insectes venue d’insondables abîmes. (…). Les trente-deux violons prolongèrent le « la » bémol, grave, douloureux, le répétant quatre fois. Les harpes, les trompettes, les hautbois élevaient cette plainte, les cordes la soutenaient, concluaient le thème. Dès la première note, Wagner envoûtait les plus sensibles. » Le livret et la musique de Parsifal n’intéressent pas tous les spectateurs. Le narrateur décrit le plateau et la fosse d’orchestre, il raconte l’objet de l’opéra. Mais il s’applique aussi à observer avec minutie les personnages de ce théâtre mondain. Dans les loges on discute, on scrute, on commente et on critique. Dès le début de la représentation plus que Parsifal ce qui fascine c’est le Bal que doit donner une riche rombière en l’honneur de sa nièce. Pendant la soirée c’est donc la course à l’invitation pour obtenir le droit d’en être. Le paraître est ce qui domine à l’image d’un collier de pierre précieuses objet de moult convoitises. Pour cela les salamalecs, les salutations dévouées, les hypocrisies et les sourires de façade se multiplient entre les protagonistes qui se jaugent les uns les autres. Salvador est peu familier de ces codes, il doit apprendre, deviner, comprendre. A côté de lui, son cousin Alejandro, dont une précédente conquête Luis le poète est dans l’assemblée au poulailler, lui caresse la cuisse et tente de le draguer. Le jeune homme est pourtant destiné à se marier prochainement. Salvador est perturbé et repousse discrètement la main baladeuse. D’autres gestes, des conversations discrètes et des coups d’œil insistants sont rapportés par le narrateur attentif à ce qui se déroule dans la salle.

A l’instar de la dramaturgie de l’opéra, au fil de la soirée, le crescendo des mondanités se déploie. Ce portrait très proustien de Buenos Aires est réjouissant, les bassesses et les taquineries, les masques et les faux-semblants se révèlent. Peu de personnages sortent indemnes de cette représentation musicale pour le plus grand plaisir du lecteur.

Voilà, je vous ai donc parlé du Grand théâtre de Manuel Mujica Lainez paru aux éditions Renaudot et Cie.

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