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21 Avril 2025
Aujourd’hui je vais évoquer Les Indignes roman dystopique terrifiant de l’argentine Agustina Bazterrica. L’action se déroule dans un pays indéfini, dans un futur que le lecteur devine lointain, après l’effondrement de la civilisation sous le déferlement des eaux qui montent.
Les Indignes est un étouffant et horrifique huis-clos dans un monde de claustration essentiellement féminin. Voici l’incipit du roman : « j’ai mis des cafards dans son oreiller et j’ai cousu la taie pour qu’ils aient du mal à en sortir, pour qu’ils grouillent sous sa tête ou sur son visage (pourvu qu’ils rentrent dans ses oreilles et fassent leur nid dans ses tympans, qu’elle sente leurs larves lui grignoter le cerveau). » Cela donne le ton de l’horreur et de la méchanceté ambiante. La narratrice est une indigne, elle écrit en cachette dans le plus absolu secret afin de garder la mémoire des faits. Le milieu où se déroule l’action a des allures de prison sous l’emprise d’une caste restreinte qui domine la population féminine ici réunie. La horde des Indignes regroupe des femmes dans une sororité forcée dans cet espace clos où elles sont enfermées, dans une atmosphère de claustration étouffante. Voici quelques précisions sur cet ancien monastère devenu refuge spécial : « la rumeur dit qu’en arrivant de la terre ravagée, du monde effondré, ni Lui ni la Sœur Supérieure n’ont trouvé de téléphones ni d’ordinateurs. (...). Il nous a dit que pour devenir des Illuminées, nous devions nous débarrasser de nos origines, du Dieu erroné, du faux fils, des idées triviales, de la saleté nocturne qui rampe dans notre sang, lente et imperceptible. » Ce Il invisible demeure mystérieux, la narratrice ne sait pas grand-chose de lui mais comme ses comparses féminines de détention elle espère changer de statut et devenir elle-même Illuminée. Les noms toponymiques ont une connotation religieuse avec par exemple : « la Tour du Silence, près du Cloître de la Purification ». Les conditions de rédaction de ces mots qui prennent la forme de ce texte terrifiant sont ainsi décrites : « j’écris avec mon sang qui est encore chaud, qui coule. Le froid me fait mal aux doigts. Notre sacrifice est important. (...). Pourquoi prendre de tels risques avec ce livre de la nuit ? Mais j’en ai besoin, car si j’écris, c’est que c’était réel, si j’écris, nous ne serons peut-être pas juste un rêve contenu dans une planète, un univers caché dans l’imagination de quelqu’un. » Les mots sont durs ; les femmes sont soumises, exploitées, humiliées, blessées, martyrisées, vilipendées. La narratrice est émue par Lucia, une novice qui intègre la communauté et avec laquelle elle goûte des plaisirs interdits. Ensemble elles vont affronter la Sœur Supérieure et participer aux luttes de pouvoir avec cette envie de s’élever dans la hiérarchie. Elle poursuit : « on nous a dit que pour devenir des Illuminées, nous devions cesser d’être des réceptacles de la perfidie, dépositaires du mensonge, filles de l’immondice, ennemies de la décence, cesser d’être la grande erreur de la nature, traîtresses à la sagesse et à la vertu, vestales de la perdition, que nous devions nous débarrasser du fiel de notre sang. (...). Certaines ont décidé de laver le sol avec leur langue. Nous les voyons la tête inclinée, la langue noire, décomposées, malades de la saleté qu’elles avalent, mais elles continuent, car le sacrifice doit être absolu. D’autres jeûnent, agenouillées dans les couloirs ou au jardin, jusqu’à s’évanouir de faim. »
Les Indignes est un roman des ténèbres, une vision apocalyptique d’une humanité en déliquescence avec ce lieu incroyable où, dans une sororité inquiétante, des femmes sont victimes d’une éprouvante violence sans limite.
Voilà, je vous ai donc parlé des Indignes d’Agustina Bazterrica paru aux éditions Actes Sud.