L'imaginaire est une réalité

Le nouvel essai de Michel Pastoureau comme une autobiographie colorée

Aujourd’hui je vais évoquer L'imaginaire est une réalité conversation passionnante entre Michel Pastoureau et Laurent Lemire. Le journaliste est très discret et c’est la voix de l’historien des couleurs et des animaux qui se fait entendre et raconte son parcours. Rappelons que Michel Pastoureau est l’auteur de nombreuses monographies dont la dernière intitulée Rose, histoire d’une couleur et d’ouvrages passionnants comme Le roi tué par un cochon ou Dernière visite chez le roi Arthur.

Michel Pastoureau l’affirme dès le départ, il a été privilégié, sa famille était cultivée et lui a très tôt donné le goût de la peinture et de la lecture. Il est le petit-cousin de Claude Lévi-Strauss, dans son enfance il dessine aux côtés d’André Breton, son père est surréaliste tandis que sa mère est pharmacienne à Montmartre. Dans cet exercice de regarder vers le passé et de dresser son propre portrait il sait qu’: « on réécrit sa propre biographie, on arrange tel ou tel épisode, on se donne le beau rôle. A moins d’être totalement dépressif ou masochiste. » Il étudie à l’école des Chartes, est un latiniste émérite puis devient historien et rédige une thèse médiéviste sur les emblèmes héraldiques. Très tôt ses thèmes de prédilection sont ancrés : les emblèmes et les blasons, les bréviaires et les couleurs. Plus de cinq décennies de recherches sont déjà embryonnaires dans ses premiers travaux. Il explique la genèse de son intérêt : « tous les enfants aiment les couleurs et les animaux, puis, en grandissant, ils passent à autre chose. Moi, je ne suis jamais passé à autre chose. Les couleurs et les animaux ne m’ont jamais quitté et ont constitué mes premiers terrains de recherche, il y a près de soixante ans. Ils le sont encore aujourd’hui. » Dans ces pages l’ancien professeur dont les explications sont toujours claires et limpides précise sa vision de l’histoire, lui qui a traité de façon holistique et transdisciplinaire des sujets peu académiques : « quand on a de l’expérience et de l’intuition, il est rare de passer à côté de quelque chose d’important. L’exhaustivité, je le répète, ne sert à rien. Mieux vaut réfléchir qu’engraisser continuellement son corpus. » Bien entendu la pensée de Pastoureau sur les couleurs (tout est une construction sociale, il ne faut pas confondre nuances et couleurs, qui existent en nombre restreint) est développée ; il indique : « chaque couleur a son histoire, ses rythmes, ses emplois, ses significations. Mais inversement aucune ne peut guère être étudiée isolément. A partir du Moyen Âge, tout ce qui fait que le rouge est rouge dépend du noir, du blanc, du jaune, du vert, du bleu. Une couleur ne vient jamais seule. (...). Pendant des siècles, tous ceux qui dans la société, pour des raisons diverses, doivent être vêtus de noir (les moines bénédictins, par exemple) ou de blanc (les cisterciens) sont seulement vêtus de « presque noir » et de « presque blanc ». Selon lui son meilleur ouvrage est celui consacré à l’ours, animal qui l’intéresse beaucoup comme le corbeau ou le cochon. Toutes ses analyses érudites sont éclairantes. Pastoureau reste humble et modeste, il expose ses convictions : « je suis inquiet de voir qu’aujourd’hui, on juge de plus en plus souvent le passé à l’aune des connaissances, des valeurs et des morales du présent. Cela me semble dangereux. Et absurde. (...). Un chercheur doit se faire plaisir, sa recherche en sera nettement plus fructueuse. » L’âge avance, la vue baisse (il le répète plusieurs fois) et malgré son envie de continuer à écrire il prévient : « si le temps m’en est donné et si j’en ai encore la force, j’aimerais lui consacrer un livre » à propos d’une nouvelle couleur à explorer (orange, marron, gris) ou d’un animal ou d’une plante (par exemple les fougères ou les tilleuls). Mais il n’est pas sûr d’y parvenir.

L'imaginaire est une réalité est un essai sur un parcours singulier et atypique, principalement guidé par le goût de Pastoureau indépendamment des balises d’un chemin académique. Sa liberté se ressent dans son enthousiasme à communiquer et à vulgariser ses connaissances.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'imaginaire est une réalité de Michel Pastoureau paru aux éditions du Seuil.