Rudolf Noureev une vie

Une biographie roborative de Rudolf Noureev

Aujourd’hui je vais évoquer la biographie monumentale Rudolf Noureev une vie écrite par Julie Kavanagh. Cet ouvrage de facture classique est un pavé passionnant qui s’intéresse au parcours personnel et professionnel du danseur et évoque celles et ceux qui ont croisé sa route.

L’ouvrage de huit cents pages est organisé en vingt chapitres chronologiques. L’auteur ne détaille pas les sources et les entretiens qu’elle a réalisés pour rédiger cette somme, elle rapporte quelques citations. Son travail minutieux évite le sordide et reste factuel. Elle suit le parcours de son personnage de sa Russie natale jusqu’à son exil vers l’ouest puis son installation entre Londres, Paris et New-York principalement. Le nom de Rudolf Noureev est associé à la danse classique et à ce milieu artistique. Il est indéniablement un des très grands danseurs du vingtième siècle. Mais cette biographie permet aussi de mieux connaitre cet homme acharné avec ses traits de caractère ambivalents et ses nombreux défauts. Rudolf Noureev est né à Oufa en Russie en 1938. La biographe reconstitue à partir de témoignages et de visites sur place les premières années d’enfance du garçon qui grandit dans un milieu pauvre. C’est à Oufa que sa vocation pour la danse nait malgré les réticences de son père. Sa formation de danseur s’effectue à Leningrad au Kirov à des milliers de kilomètres de ses parents. Ses professeurs jouent un rôle essentiel, ils constituent une sorte de famille de substitution pour lui. Le jeune homme fougueux est révélé au public, ses sauts sont impressionnants, il captive les foules. Rudolf est épris de liberté, la danse est sa passion et sa vie. Il a quelques aventures amoureuses avec des garçons. Lors d’une tournée à Paris il fréquente des danseurs occidentaux, fuie la surveillance soviétique tatillonne, profite de la vie et de ses plaisirs. Alors qu’il doit partir avec la troupe pour Londres il comprend qu’il va être renvoyé à Moscou, il refuse et demande l’exil en France sur l’aéroport du Bourget en 1961. Cela signe le début d’une nouvelle phase de sa vie : solitaire, loin des siens et de sa famille. Il faut se rappeler du contexte historique de guerre froide et d’hostilité entre l’est et l’ouest à l’époque. De ce moment jusqu’au début des années 1990 il ne va cesser de danser arpentant les scènes du monde entier. Son rêve est de danser avec tous les grands noms occidentaux et de fréquenter les chorégraphes qu’il admire comme Balanchine (d’origine russe). Sa première partenaire sera Margot Fonteyn, son ainée, danseuse au Royal Ballet. Ensemble ils vont incarner tous les classiques. Dans ce livre les ballets sont présentés, les rôles de Noureev et son interprétation des personnages sont détaillés. Le moindre spectacle est mentionné. Pour les amateurs de ballet c’est passionnant, Julie Kavanagh rappelle les querelles, les avis des critiques, etc. La vie sentimentale et sexuelle de Noureev est également au cœur de l’ouvrage car cela tient une importance majeure dans son existence. Son premier amour affirmé et concrétisé est pour le danseur danois Erik Bruhn. Leur passion est destructrice, ils s’aiment et se déchirent. D’ailleurs, les amants successifs de Noureev seront souvent mal traités par lui. Cependant force est de constater que plusieurs hommes tiendront une place importante pour lui. Les histoires sentimentales sont évoquées, en revanche ses conquêtes sexuelles innombrables sont juste mentionnées. Les conditions précises de sa contamination par le sida ne sont pas précisées. Comme danseur et chorégraphe il impose dans les ballets des rôles plus consistants pour les hommes, il révolutionne les partitions et les adages. La narration de ses années de gloire donne le tournis, il semble en permanence dans un avion pour rejoindre une nouvelle scène. Il enchaine les spectacles et les prestations. La nuit il fait la fête, dort à peine, prend ses cours le lendemain matin et répète avant de danser devant le public. Noureev travaille partout, il multiplie les tournées, avide de gagner énormément d’argent lui permettant d’acheter de nombreuses maisons et d’amasser une fortune. Le bouquin montre bien les conflits auxquels il est lié par exemple lorsqu’il dirige la danse à l’Opéra de Paris ; tous les danseurs n’admettent pas ses méthodes, les inimitiés sont légion. Dans la presse des tribunes réclament son départ, la violence est des deux côtés. Quelques amis au fil des décennies l’accompagnent et lui restent fidèle. Noureev reste pour les russes longtemps un félon déserteur et sa souffrance intime est visible ; cette situation imposée à sa famille lui pèse. Il reste discret sur ses sentiments les plus profonds, il veut apparaitre comme un bourreau de travail qui n’a aucune indulgence pour ses partenaires. Les derniers chapitres sont comme le crépuscule et l’agonie d’une star, ce dieu de la danse déchu est rattrapé par la maladie et la mort (sida) en 1993 ; il est parfois antipathique, irascible, pingre, odieux avec ses amis et ses proches mais il est touchant. Jusqu’au bout il a dansé, chorégraphié, dirigé des orchestres. Sa déchéance est terrible, son corps est d’une résistance incroyable pendant la décennie où le sida le ravage progressivement. Il danse jusqu’aux limites de l’effondrement, offrant des dernières prestations médiocres et pathétiques. Noureev est un mythe et ce livre complet lui rend un bel hommage sans fuir les laideurs du personnage à l’allure longtemps féline et triomphale.

Rudolf Noureev une vie est un pavé passionnant qui sans être hagiographique permet de mieux découvrir qui il était, son parcours de vie, son exigence, sa violence, sa dépravation et pourtant un danseur émérite, épatant et formidable. Ce n’est évidemment pas la seule biographie de Noureev (j’ai lu celle de Peter Watson) et il a aussi inspiré un roman intitulé Danseur.

Voilà, je vous ai donc parlé de Rudolf Noureev une vie de Julie Kavanagh paru aux éditions L’Archipel.