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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Les enfants martyrs de Riaumont

Les enfants martyrs de Riaumont

Aujourd’hui je vais évoquer Les enfants martyrs de Riaumont enquête journalistique étourdissante d’Ixchel Delaporte. Le sous-titre de cet ouvrage est Enquête sur un pensionnat intégriste. Entre témoignages directs et archives couvrant une période d’une soixantaine d’année l’auteur rapporte ses conclusions dramatiques. Son objectif est de : « donner la parole à chacun pour reconstituer une histoire au plus près de la réalité. » Ce pavé très documenté est comme l’acmé des investigations médiatiques et judiciaires des dernières années autour de ce lieu trouble. De nombreuses victimes fournissent des témoignages inédits.

Dans l’introduction la journaliste explique comment les circonstances (une autre enquête autour du décès de Vincent Lambert et du lien de sa famille avec les milieux catholiques intégristes) l’ont conduite à s’intéresser au Village d’enfants de Riaumont. En reconstituant les origines de cette association elle indique que : « le 14 mars 1960, le Village d’enfants de Riaumont ouvre officiellement ses portes. » Ce lieu conçu par l’abbé Albert Revet est situé dans le Nord de la France à Liévin, dans une forêt. Jusqu’en 2019 des centaines d’enfants vont y être accueillis. Ixchel Delaporte est accompagnée par Bruno Raout un quinquagénaire qui a été scolarisé avec son frère sur place et a été victime comme de nombreux autres garçons d’abus. Riaumont est initialement un lieu d’accueil pour enfants placés (par la DDASS ou les juges) ou jeunes issus de familles catholiques traditionnalistes qui sont ainsi formés dans une ambiance scoute et militaire. Le constat qui prévaut lors de cette enquête est que : « le fondateur du Village d’enfants de Riaumont a abusé sexuellement, tout au long de l’existence de ce foyer, de nombreux enfants. Et il a profité de son statut et de sa figure tutélaire pour infliger des sévices extrêmes aux enfants en toute impunité. »L’omerta, l’injonction au silence, les corps brutalisés et la parole interdite expliquent les nombreuses années nécessaires pour faire éclater la vérité. Ce Village bénéficiait d’une aura et d’une protection locale qui font qu’il faudra attendre le travail de jeunes juges étrangères à la région pour avoir connaissance officielle des premières dénonciations pour abus avec la prise en compte des faits rapportés par la femme du directeur de l’école de Liévin que fréquentaient les enfants Ces investigations ont conduit au retrait de l’agrément à accueillir des enfants en 1982. « Et en effet, les ministres procéderont à un retrait de l’habilitation du Village d’enfants de Riaumont. En juin 1982, les derniers enfants placés quittent les lieux à bord d’un car, en chantant Ce n’est qu’un au revoir mes frères... » Pourtant, malgré les rumeurs, sous une forme différente pendant plusieurs décennies l’activité va se poursuivre avec l’instauration d’une école intégriste hors-contrat. Et paradoxalement l’auteur explique : « je réalise le poids que pèse Riaumont dans ce coin de France pour des familles modestes. Riaumont donne accès à la noblesse et à une bonne éducation. » Tout son récit met en lumière l’ambiguïté et la difficulté de certains à verbaliser ce qu’ils ont vu ou vécu car ils sont sous emprise et persuadés que sans Riaumont leur vie aurait été pire encore. Les enfants martyrs de Riaumont font état demaltraitance, de viols, de violences physiques, de travaux forcés (la construction des bâtiments est effectuée par les gamins sous l’égide d’éducateurs et de prêtres pervers), d’abus, de brimades. Ce qui est décrit relève d’une éducation quasi militaire avec sévices et coups. Les souvenirs du bureau de l’abbé sont concordants : des insignes nazis et des breloques militaires sont partout présents. Les liens avec l’extrême droite et le milieu catholique intégriste sont bien documentés. Il est, aujourd’hui encore, malgré les progrès de l’église sur les affaires de mœurs, très difficile de savoir de qui dépend cette institution. Des dizaines de récits de victimes sont rapportés, ainsi par exemple cet homme qui raconte : « une fois qu’il m’avait agressé, il fallait que je le fouette. Il enlevait sa soutane et je le frappais dans le dos. Quand ses pulsions étaient retombées, il faisait pénitence. Il allait se trainer dans les ronces à genoux pour expier ses fautes. Il me montrait les traces sur ses jambes le lendemain. » Tous ces entretiens sont parfois l’unique et première occasion d’évoquer ces faits plus ou moins lointains ; cette verbalisation revêt une vertu thérapeutique et incitatrice à porter plainte. Ixchel Delaporte précise : « les témoignages glaçants d’anciens qui n’avaient jamais évoqué les sévices, les brimades, les humiliation subies pendant quelques mois ou pendant des années à Riaumont s’accumulaient. (...). Au cours de mon enquête, j’ai pris la mesure de la toile tissée par le père Revet et des ramifications politiques avec l’extrême droite, qui ont participé à maintenir cette froide mécaniques en place pendant soixante ans au mépris de la protection de l’enfance. »

Les enfants martyrs de Riaumont est une enquête coup de poing, les descriptions des sévices et des abus sont insupportables, l’enfance est bafouée par ceux qui prétendent la protéger. Les ravages de tels actes demeurent ancrés dans la psyché des victimes. Tous ces garçons, parfois incapables de dénoncer ce qu’ils ont subi, ont le courage de témoigner, parfois même de porter plainte pour espérer se reconstruire. Des drames, incarnés par le suicide d’un adolescent, ponctuent ces pages étouffantes.

Voilà, je vous ai donc parlé des Enfants martyrs de Riaumont d’Ixchel Delaporte paru aux éditions du Rouergue.

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