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8 Mai 2022
Aujourd’hui je vais évoquer L’île de la Sentinelle roman formidable et haletant de Benjamin Hoffmann. C’est l’histoire de l’amitié entre les deux personnages principaux en lien avec cette île indienne mystérieuse.
Le titre du roman, L’île de la Sentinelle, évoque le cadre fantasmé car inaccessible où se déroule une partie de l’intrigue. Le narrateur précise : « l’île de la Sentinelle est un navire fantôme. A de longs intervalles elle émerge dans la conscience occidentale, observée par un voyageur hardi qui en esquisse les contours. Puis elle disparait pendant plusieurs décennies ou plusieurs siècles, ignorée, oubliée, jusqu’au jour du prochain surgissement. » Il ne s’agit pas d’une fiction, cet endroit existe réellement : « leur isolement, les Sentinelles le doivent à leur résistance mais aussi aux caractéristiques de leur territoire. Déjà, il n’a pas grand-chose pour exciter la convoitise. (...). C’est le dernier inconnu, l’ultime frontière à la surface du globe, le parachèvement de cinq siècles de conquêtes et d’iniquités » C’est Krish qui raconte mais le roman est une mise en abime puisqu’il existe un roman dans le roman qui est l’œuvre de son ami Markus. Krish est d’origine indienne il a grandi à Bombay avant d’obtenir une bourse pour étudier aux Etats-Unis ; lors de son séjour à l’étranger ses parents et sa sœur meurent, il s’installe donc définitivement en Amérique où il rencontre Markus, fils d’un richissime marchand d’art. L’amitié improbable entre les deux jeunes hommes est éclatante. Ils sont de deux mondes en opposition ; d’un côté un immigré qui a tout à prouver pour obtenir une vie digne, de l’autre un fils de qui n’a que des privilèges et des facilités. Ils partagent tous les deux une fascination pour la Sentinelle, l’île interdite, peuplé de tribus éponymes qui refusent tout contact avec l’extérieur. Ensemble ils discutent souvent et expriment leur désir secret d’accoster à Sentinelle. Au milieu de l’histoire contemporaine, Krish évoque en s’appuyant sur les rares documents historiques les grandes dates des Sentinelles. Il devient un brillant anthropologue, il se marie. La relation avec Markus se distend un peu, il reste proche de Victor un autre ami de sa jeunesse qui lui prodiguera divers conseils lors des épreuves de la vie. Krish a des déboires sentimentaux, son épouse est dépressive, il voudrait être père mais elle n’est pas prête puis une fois enceinte elle est victime d’une fausse-couche. Les certitudes de Krish vacillent, à un moment il se dit : « j’avais enfin compris qu’être adulte, c’est précisément cela : faire le deuil des possibles. Et mettre toute l’énergie qu’on perd à rêver d’une autre vie dans l’effort pour embellir la sienne. » Les parents de Markus meurent dans un accident de voiture, avec sa sœur il hérite de la fortune et doit diriger les galeries d’art. Markus est un peu paumé, il se rêve en écrivain mais son projet de roman semble être un naufrage. Sa disparition inquiète sa sœur qui contacte Markus pour qu’il le retrouve. Il apparait évident qu’il a mis en œuvre une expédition pour rejoindre l’île maudite. Dans la mémoire collective la mésaventure tragique de John Chau reste présente. Krish part dans la région des Andaman et retrouve la trace de son ami disparu. Mais si sa mort ne fait aucun doute, il ne parvient pas à localiser son corps. Il passe quelques minutes haletantes sur place : « il me reste trente minutes pour trouver la trace de Markus si je veux garder le temps de revenir sur mes pas. Je cours et ne sais plus si c’est la mort que je fuis ou vers elle que je me hâte, elle à qui je suis venu me confronter, elle qui m’observe en ce moment même, derrière les arbres, prête à décocher une flèche qui me frappera à la colonne vertébrale. » Le roman se termine par une dystopie, le peuple autochtone a été exterminé, l’île est devenue un sanctuaire de leur mémoire où les touristes peuvent se rendre accompagnés. Avec son épouse et sa fille Krish se rend sur place et est le seul à comprendre l’origine d’une montre trouvée auprès d’ossements. Il s’agit des restes de Markus et la montre est celle que Krish avait oubliée dans l’appartement lors d’une soirée étrange au cours de laquelle il s’était demandé : « dans la fascination qu’il m’inspirait depuis des années, devais-je reconnaitre une forme d’attrait sexuel, jusqu’à présent refoulé ? »
L’île de la Sentinelle est un roman aux allures de faux polar. Le cadre de la mer du Bengale avec cette île fascinante parce qu’inconnue est bien documenté, le lecteur fantasme sur ce lieu toujours inaccessible sorte d’ultime frontière sur la planète. Les histoires d’amitié et de couple, les drames traversés par les protagonistes sont passionnants, ce gros roman se lit avec facilité.
Voilà, je vous ai donc parlé de L’île de la Sentinelle de Benjamin Hoffmann paru aux éditions Gallimard.