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25 Novembre 2020
Aujourd’hui je vais évoquer Le magasin du monde sous la direction de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre. Le sous-titre est La mondialisation par les objets du XVIIIe siècle à nos jours. Des dizaines d’objets sont scrutés et leur histoire est contée dans ces pages instructives et faciles d’accès complétées de références bibliographiques pour le lecteur curieux.
Les directeurs de l’ouvrage préviennent en introduction : « vous ne trouverez pas ici une chronologie des objets du monde, depuis leur invention jusqu’à la disparition de certains d’entre eux, mais un musée en perpétuel réaménagement, un entrepôt où les formes comptent autant que les quantités. (…). Ce magasin raconte une histoire d’autant plus cohérente qu’il est permis de se demander si nous ne vivons pas aujourd’hui la fin des objets. » Les objets qui sont présentés sont bien réels même si certains, comme le smartphone, préfigurent la probable accélération de la dématérialisation et peut-être la disparition desdits objets. D’autres objets sont tombés en désuétude comme la craie : « le bâton de craie est déterminant dans l’entreprise de colonisation des XIXe et XXe siècles, qu’il soit dans la main du chef du comptoir cochinchinois, du médecin de brousse ou dans celle du père blanc au Congo. Le bâton de craie, et l’inscription éphémère qu’il permet, est en effet au cœur de la police du monde : il permet d’apprendre, de compter et de commercer. » Le lecteur est invité à picorer dans les dizaines de brefs chapitres, à se balader au milieu de ces objets hétéroclites. La lecture linéaire ne suit aucun parcours chronologique ou idéologique. Le magasin du mondeest une façon originale de concevoir et de décrypter la mondialisation, les anecdotes sont au service de la compréhension de la circulation des objets. Pêle-mêle dans ces pages apparaissent le calumet, la bougie, la cage, le masque prophylactique, le revolver, le gilet jaune, la statuette de Bouddha, le pneu, la pénicilline. Pour l’exemple de la quinine l’auteur précise : « alors que, jusqu’en 1880, les écorces viennent d’Amérique du Sud, au début du XXe siècle la production est devenue très majoritairement javanaise. Loin des zones de production du quinquina, la fabrication industrielle du médicament commence dès les années 1820, avant tout en Europe et aux Etats-Unis. » Souvent les histoires évoquées dans le bouquin sont insoupçonnées et traduisent diverses formes de domination. C’est aussi l’inventaire de l’appropriation par des civilisations, au gré de leurs conquêtes, d’objets étrangers. Ainsi un historien indique à propos de l’hygiène : « issu de la circulation des hommes et des expériences à travers les empires tout au long du XIXe siècle, le shampooing est produit de la mondialisation. Devenu bien de consommation de masse, il fut le support, tout au long du XXe siècle, de la diffusion d’un modèle occidental dominant, jusqu’à ce que s’en saisissent, même marginalement, des revendications culturelles, socio-politiques et écologiques. » Il est impossible de tout évoquer, alors voici juste quelques pépites supplémentaires. Au fil des décennies les lieux de production des objets évoluent ; la Chine devient la fabrique du monde puis d’autres pays plus pauvres prennent le relai. Cette histoire sociale dit aussi l’évolution des mentalités, la prise en compte des conséquences écologiques de certains objets comme la bouteille plastique ou la canette. En effet : « initialement objet occidental moderne par excellence, porteuse d’un produit perçu comme bénéfique pour la santé, la bouteille plastique est devenue un symbole dévastateur de notre régime de déchet. » Le traitement réservé aux morts a aussi une histoire. Elle peut être résumée ainsi : « le 27 Germinal an IX (17 avril 1801), à Paris, le préfet Nicolas Frochot rend, pour la première fois en France, le cercueil individuel obligatoire, y compris pour les indigents parisiens, à partir du 1er Floréal an IX. (…). Au XIXe siècle cependant, la donne change radicalement en Occident : le cercueil devient un accessoire standardisé, produit en quantité industrielle et diffusé par les Occidentaux aux quatre coins du globe. » L’invention de la boite de conserve ou du réfrigérateur modifient les habitudes alimentaires des populations. Les tissus, wax ou batik, ont un lieu d’origine puis ils se répandant et envahissent le monde qui devient plus monotone. C’est une des facettes de la mondialisation, la transmission d’objets qui deviennent incontournables partout et d’autres qui sont négligés, méprisés et disparaissent.
Le magasin du monde est une façon originale et ludique d’appréhender la mondialisation et ses conséquences en termes d’uniformisation. L’ouvrage est le fruit collaboratif de nombreux historiens qui en quelques pages donnent les clés essentielles pour connaitre l’histoire tourmentée des objets.
Voilà, je vous ai donc parlé du Magasin du monde de Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre paru aux éditions Fayard.
Entretien avec un des auteurs