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3 Avril 2020
Aujourd’hui je vais évoquer Les tentations de la chair d’Alain Cabantous et François Walter. Le sous-titre de cet essai roboratif est Virginité et chasteté (16è – 21è siècle). Les essais historiques sur le corps et la sexualité sont nombreux ; on peut citer par exemple Le sexe en solitaire de Thomas Laqueur ou Une histoire des sexualités de Sylvie Steinberg. Les auteurs s’inscrivent dans ce courant et leur travail se focalise plus précisément sur la maîtrise de la chair et les incitations à résister aux plaisirs charnels. Ils précisent en introduction que : « virginité et chasteté construisent vraiment une histoire à la fois intime et collective, fondamentale et complexe face à laquelle chacune et chacun sont invités discrètement ou publiquement à se déterminer.» Bien que la société contemporaine occidentale soit marquée par une hyper sexualisation, à analyser à l’aune de siècles vantant les mérites de l’abstinence, les valeurs portées par la virginité et la chasteté persistent malgré l’émoussement de leur motivation purement religieuse.
L’essai est découpé en trois grandes parties intitulées Des mots et des choses ; Des contradictions cléricales aux équivoques laïques et Les territoires du sexe. Il est important de s’attarder sur les définitions et de s’accorder sur les notions et concepts traités. Le regard historique est indispensable ; afin de bien comprendre les enjeux présentés les auteurs remontent à l’Antiquité. Ils tentent de définir précisément la virginité et la chasteté. La première relève d’une qualité physique qui peut s’inscrire sur le corps. Ainsi, chez la femme la recherche de l’état de l’hymen, malgré tous les errements possibles, est un marqueur accepté de la virginité. Il est beaucoup plus difficile de trouver l’équivalent chez l’homme. Les données physiologiques répertoriées par les historiens sont intéressantes et montrent le décalage entre le prescrit et le réel. Quant à la chasteté elle a davantage trait à une qualité morale et éthique. Le désir de chasteté se retrouve en particulier dans les monastères où les religieux sont astreints à oublier leur corps. Le constat physiologique suivant est fait : « les restrictions alimentaires ou le jeûne prolongé induisent inéluctablement une impuissance sexuelle des hommes comparable à l’aménorrhée chez les femmes. Manger peu, boire sans arriver à satiété, dormir seulement trois à quatre heures par nuit, tel est le régime propice à rendre chaste en quelques mois.» C’est au prix d’une telle contrainte rigoureuse que la chasteté peut triompher ce qui montre qu’elle n’est en rien naturelle mais dictée par des exigences cultuelles. Cabantous et Walter écrivent : « il faut remarquer que durant des siècles, depuis les Pères de l’Église jusqu’au XIXe siècle, chasteté et virginité ont souvent été confondues ou assimilées. La chasteté est parfois laissée un peu en retrait, désignée, en parlant des jeunes filles, par le terme de modestie». Eux insistent sur les différences et les multiples combinaisons envisageables entre ces deux caractéristiques. Les tentations de la chair met l’accent sur le rôle de la religion et de l’église dans l’avènement de ces conduites. Il faut rappeler que, contrairement à certaines idées reçues, dans les premiers temps de la chrétienté les prêtres n’étaient pas astreints à la chasteté, le célibat n’était pas la règle.Force est de constater qu’: « aucun des textes fondateurs du christianisme n’érige en règle l’abstention sexuelle ou la supériorité de la virginité. Aucun non plus ne rattache ce style de vie à l’organisation ecclésiale ou aux contraintes du ministère.» Et pourtant, les historiens montrent bien que, malgré cette absence formelle de prescription, le christianisme contemporain se fonde sur ces préceptes. Il faut analyser l’évolution de la pensée religieuse effectuée lors des différents conciles pour comprendre l’émergence de la recherche de virginité et de chasteté. Cependant, au fil de l’histoire le choix religieux n’est pas le seul à prôner chasteté et virginité. En parallèle, une position laïque est également en faveur de ces comportements. Il s’agit de mettre en place les moyens de lutter contre la turpitude de la chair et ses excès. Là encore, selon les époques les attitudes varient. La fréquentation de prostituées pour perdre son pucelage a longtemps été valorisée. La médecine elle-même n’a pas toujours adopté le même point de vue. Et puis la société est porteuse de valeurs qui fluctuent ; la masturbation a longtemps été condamnée alors que la pédophilie ne choquait pas. Puis la tendance s’est inversée quand l’enfant a commencé à être considéré comme une personne méritant intérêt et protection vis-à-vis des comportements prédateurs des adultes. Force est de constater que la sexualité est généralement considérée comme acceptable dans la mesure où elle est reproductive. Dans tous les autres cas elle est condamnable ce qui justifie la mise en exergue du bienfait de la chasteté. Les auteurs montrent qu’il existe un rapport genré à la religion ; par exemple la confession fait fuir davantage les hommes que les femmes et cette pratique intrusive dans l’intimité pourrait expliquer la désaffection de la religion catholique. D’autres hypothèses à ce déclin sont évidemment à prendre en considération. Les auteurs suggèrent qu’: « en dépit de l’écroulement généralisé du mythe de la virginité dans les sociétés occidentales actuelles, hormis certains groupes de pression évangéliques nord-américains, et avec la dissociation radicale entre sexualité féminine et reproduction depuis les années 1960, la dissymétrie entre les deux sexes face à l’amour et à ses propédeutiques est loin d’avoir disparu.» L’inégalité entre les sexes perdure car : « si la chasteté des femmes se définit d’abord par leur fidélité et leur subordination, cette dernière doit les obliger, par exemple, à ne pas refuser le devoir conjugal, ce qui serait coupable, de crainte de favoriser l’infidélité de leur époux, ce qui doublerait leur faute.» Il est intéressant enfin de noter que : « les discours sur l’abstinence pré-matrimoniale tenus par les Églises et leurs effets souvent limités au sein de la jeunesse occidentale n’empêchèrent pas les clercs de continuer à fixer des lignes de conduite, voire à définir des interdits à l’attention des couples mariés jusqu’à une période récente. »
Les tentations de la chair est un livre passionnant qui dresse un panorama pertinent de l’influence de la religion sur le contrôle du corps et plus particulièrement sur celui des femmes. Le champ exploré est immense, ce résumé ne rend pas compte de tout le bouquin ; ce pavé agréable à lire permet de bien cerner la complexité de ce thème entre l’intimité et le contrôle social, entre le désir individuel et la soumission collective des corps.
Voilà, je vous ai donc parlé des Tentations de la chair d’Alain Cabantous et François Walterparu aux éditions Payot.
Entretien avec un des auteurs
Une histoire des sexualités - Culture tout azimut
http://culture-tout-azimut.over-blog.com/2019/05/une-histoire-des-sexualites.html
Chronique sur un essai sur le même thème