Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

J'ai oublié

Les mémoires de Bulle Ogier

Les mémoires de Bulle Ogier

Aujourd’hui je vais évoquer J'ai oublié de Bulle Ogier coécrit avec Anne Diatkine. Ce récit émouvant à la première personne est un exercice de mémoire, une conversation intimiste entre l’actrice et la journaliste. Ce livre a obtenu le prix Médicis essai 2019.

De nombreux chapitres et paragraphes débutent par l’expression J'ai oublié qui revient tel un leitmotiv anaphorique scander les souvenirs épars agrégés au fil de phrases simples et profondes. L’oubli du titre est une allusion en miroir et en creux à Je me souviens de Georges Perec et constitue un troublant paradoxe puisqu’à partir de ces absences mémorielles se construit le récit. Bulle Ogier, d’une digression l’autre, tisse le fil de sa vie et met en exergue ses souvenirs personnels et professionnels. Cette actrice en vogue pendant la nouvelle vague est d’une grande discrétion, elle semble presque timide. Elle vit rue Pierre-Ier-de Serbie dans les beaux quartiers de Paris. D’ailleurs elle commence ainsi le livre : « j’ai oublié le nombre de fois où j’ai déménagé chez moi, dans cet appartement où je vis depuis cinquante ans, mais je sais que j’ai toujours plusieurs cartons à défaire et placards à ouvrir, et que je ne sais pas toujours où sont ces cartons et ces meubles que nous déplaçons Barbet et moi, de Los Angeles à Paris, et qui fondent sur l’asphalte bouillant de l’été, quand on les y laisse trop longtemps.» Ce domicile est le sien depuis des décennies, au gré des acquisitions il a été agrandi et s’étend sur deux étages. Des pièces recèlent des trésors et des souvenirs oubliés qui resurgissent chaotiquement au fil des conversations. Trois personnes sont très présentes dans ces pages, ce sont les plus importantes de sa vie : sa mère, sa fille Pascale et son époux. Sa mère l’a élevée seule et a été très présente au début de sa carrière. C’est elle qui lui a permis de s’occuper de sa fille adorée Pascale, de tisser une relation fusionnelle profonde avec elle. Morte prématurément à l’âge de vingt-cinq ans elle est un fantôme toujours présent. Elle dit : « Pascale revient beaucoup en ce moment. Elle revient gaiement, comme une personne vivante. J’ai du mal à croire qu’elle n’est plus là, puisqu’elle est constamment dans mes pensées. » Pour évoquer son mari elle dit juste Barbet, et chacun reconnait le réalisateur Barbet Schroeder. Elle raconte une aventure incroyable en Nouvelle Guinée en repérage pour un tournage. Son amour transpire par de simples allusions empreintes de douceur et de tendresse. J'ai oublié est un tombeau joyeux où se retrouvent de nombreux disparus. Marguerite Duras est une grande amie de Bulle. Le soir où elle apprend la mort tragique de Pascale elle monte sur scène et joue la pièce de Duras Savannah Bay. La rupture d’amitié avec l’écrivain est une déchirure pour Bulle. Elle précise : « j’ai oublié ce qui a fâché Marguerite quand elle s’est éclipsée, refusant de me revoir à jamais, alors qu’elle faisait entièrement partie de ma vie, on se comprenait à demi-mot. J’avais pour principe de ne jamais contrarier Marguerite et j’ai oublié pourquoi un jour j’ai bravé mon principe de la laisser dire, quoi qu’elle dise. » Malgré la violence de la fin de cette relation l’actrice n’a aucune animosité vis-à-vis de son ancienne amie au caractère difficile. Parmi ses autres amies, Bernadette Lafont compte beaucoup. Sans doute leur lien a été exalté à travers leur commune souffrance d’avoir perdu leur fille dramatiquement. Elle voue une admiration à Madeleine Renaud, a côtoyé Patrice Chéreau, Luc Bondy et Jacques Rivette pour ne citer qu’eux. Elle confie : « j’ai toujours peur de décevoir les gens que j’aime, si bien que, lorsque des cinéastes très proches m’incluent à leur projet, mon enchantement est recouvert par la panique. » Dans ces mémoires la filmographie « art et essai » et intimiste de Bulle Ogier est largement évoquée. Même si le lecteur ne connait pas ces films le charme de J'ai oublié est intact. Quelques pages sont d’une indicible douleur. Bulle Ogier y évoque les deux viols qu’elle a subis. Le premier est d’autant plus odieux que le violeur est le médecin qu’elle consulte pour avorter alors que cette pratique est illégale. Quant au second il lui est très difficile de se le remémorer, il s’efface à peine surgi des limbes du cerveau. Cependant, elle en donne les détails qui montrent là aussi la domination dont sont victimes les femmes.

J'ai oublié est l’évocation évanescente et merveilleuse de fragments de vie disséminés. Le deuil de l’enfant chéri est impossible, la figure de Pascale, jeune comédienne talentueuse et prometteuse, hante chaque page. L’amour inconditionnel pour Barbet est touchant. La vieille dame encore alerte fait preuve de coquetterie dans ses oublis alors que sa mémoire semble intacte.

Voilà, je vous ai donc parlé de J'ai oublié de Bulle Ogier paru aux éditions du Seuil.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article