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15 Février 2020
Aujourd’hui je vais évoquer Rome en noir le nouveau roman presque policier de Philippe Videlier. Il est notamment l’auteur de Quatre saisons à l’hôtel de l’univers et de Dernières nouvelles des bolcheviks. Ses romans sont inspirés de faits réels qu’il utilise au service de la fiction dont il est difficile de déceler la part exacte. Son style est remarquable étayé sur une riche documentation ; il mêle allègrement sources historiques, détails incroyables et intrigues. Cette fois c’est une fresque ahurissante et grotesque autour du fascisme italien et de son leader Benito Mussolini que constitue Rome en noir.
Le roman débute dans la région de Lyon en 1932 par un crime et l’enquête associée. Un boxeur italien, sympathisant avéré du fascisme en expansion, installé en France, est impliqué dans une rixe et assassiné. De ce personnage, le narrateur précise : « jusque-là, le jeune Di Mauro pensait avoir tiré le bon numéro. Non qu’il soit né coiffé, une cuiller d’argent dans la bouche. Au contraire. Il traînait la savate dans un quartier peu reluisant avec des gens de son acabit, ce qui peut s’entendre de diverses manières, pas toujours des plus flatteuses. » Et concernant les événements il continue les présentations : « il était quatorze heures quarante-cinq, donc, ou quinze heures, ou quinze heures quinze, le dimanche 6 novembre 1932 – de cela on était sûr –, lorsque cinq individus, ou peut-être six, avaient fait irruption dans le café Carrel qui accueillait joyeusement le populaire pour guincher et passer de bons moments à taper le carton, à écluser de bonnes bouteilles en bavardant. Trois des intrus étaient restés sur le seuil, en faction, tandis que les trois autres, ou les deux autres, avaient traversé la salle directement vers l’endroit où était attablée la future victime en compagnie d’une paire d’amis. » Cet extrait est caractéristique du style de Videlier, avec le procédé de l’accumulation, le souci de la précision et de la révélation du moindre indice. Quelques jours après le meurtre et tandis que l’enquête policière a débuté afin d’interpeller les premiers suspects italiens d’origine, Di Mauro est enterré : « les funérailles du boxeur Di Mauro, qui avait battu Conty aux points et Vancane par K-O. se déroulèrent à Villeurbanne le jeudi 10 novembre au début de l’après-midi en présence d’une foule nombreuse et caporalisée, des grands, des petits, des jeunes, des vieux, ceux de Roccasecca et de Colle San Magno, ceux d’Isola del Liri, ceux du quartier villeurbannais des Poulettes et de Croix-Luizet, la famille, les voisins, les amateurs de boxe et les Chemises noires de l’agglomération. » Le fil conducteur de Rome en noir est l’enquête sur la mort du militant fasciste tombé dans un bar et non sous les coups sur un ring. Celle-ci implique la police française mais également l’OVRA, les services de renseignement transalpins. Et puis, l’auteur bifurque rapidement et quitte la région lyonnaise pour l’Italie sur les traces du passé du défunt protagoniste. L’ampleur du roman s’étoffe alors, l’histoire de ce pays au début des années trente est au centre du livre avec un sombre personnage historique : Mussolini. Voici quelques phrases ironiques à son propos : « le Duce, Benito Mussolini, avait traversé des moments fort difficiles. Il était à plaindre, ses nuits, ses jours, n’étaient que tracas, soucis et contrariétés. La presse, au début, lui tombait dessus, lui manquait de respect, le traitait comme un malfrat. (…).Autant ou plus que sociologue, le Duce se disait poète. Il s’enorgueillissait de déclamer les vers de Shelley. Autant ou plus que poète, il était musicien. Mussolini jouait du violon. » Le lecteur, au fil des pages du roman, voit défiler les années et les événements historiques : l’avènement de Mussolini au pouvoir, son rapprochement avec Franco et Hitler, son implication dans la guerre. Le noir est la couleur des chemises portées par les fascistes dans les rues de la péninsule. Régulièrement, la figure de Di Mauro revient comme un leitmotiv, des suspects longtemps tranquilles sont inquiétés puis relaxés. Mais bien entendu ce n’est pas l’essentiel. Philippe Videlier explore les coulisses du pouvoir à Rome, il met en scène Mussolini et sa famille. Jusqu’à la fin tragique qu’il évoque avec son sens de la formule et des détails : « l’arme qui mit fin à l’existence de Benito Mussolini et Claretta Petacci était un pistolet-mitrailleur de la Manufacture d’armes de Saint-Etienne, en France, calibre 7,65. Le coup de grâce fut donné avec un pistolet Beretta modèle 1934, calibre 9 mm court. Les témoins s’accordent sur le jour, samedi 28 avril, déjà un peu moins sur l’heure, seize heures dix, seize heures trente. Qu’importe.» C’est la fin de la période sombre de la dictature mussolinienne et la conclusion de Rome en noir. Voici encore un exemple du style de l’auteur lorsqu’il raconte un déplacement du führer allemand : « le paquebot Normandie qui transportait Hitler aux États-Unis d’Amérique était un superbe bateau construit par les chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire. La puissance de ses moteurs Alsthom de Belfort lui permettait d’atteindre la vitesse de trente nœuds. De ses trois cheminées rouge et noir sortait une fumée blanche. » Ailleurs, on apprend que : « cent vingt camions allemands évacuèrent les œuvres d’art, les pièces d’orfèvrerie, les reliquaires, les ossements précieux des saints moines, les antiphonaires ornés de miniatures, les deux-cent manuscrits sur parchemin, les cinq cents incunables, les quatre-vingt mille livres de la bibliothèque, les huit cents documents papaux originaux, accumulés ici, et que le général en personne assista à la messe de Noël. »
Philippe Videlier me rappelle Patrick Deville, des affinités littéraires peuvent rapprocher leurs romans dont le style tient en une narration frénétique, une somme de détails à la fois minuscules et déterminants. Rome en noir est un portrait du fascisme italien, l’auteur est un scribe et un observateur qui s’abstient de juger ses personnages même s’il n’hésite pas à insister sur le côté absurde et grotesque de ses ambitions politiques.
Voilà, je vous ai donc parlé de Rome en noir de Philippe Videlier paru aux éditions Gallimard.
Dernières nouvelles des bolcheviks - Culture tout azimut
http://culture-tout-azimut.over-blog.com/2017/11/dernieres-nouvelles-des-bolcheviks.html
Chronique sur le précédent ouvrage de Philippe Videlier
Quatre saisons à l'hôtel de l'univers - Culture tout azimut
http://culture-tout-azimut.over-blog.com/2017/05/quatre-saisons-a-l-hotel-de-l-univers.html
Chronique sur son roman précédent autour de Rimbaud