Le corps des anges

Un récit de Mathieu Riboulet

Aujourd’hui je vais évoquer Le corps des anges de Mathieu Riboulet. Cet écrivain de l’intime est l’auteur d’une œuvre exigeante et austère illustrée par exemple dans le texte Avec Bastien. Dans cet opus bref et ciselé il fait le récit de la rencontre de deux garçons issus de milieux différents. A travers leur lien l’un devient l’ange que l’autre cherche avec obstination.

L’ouvrage est découpé en trois parties : les titres des deux premières évoquent les prénoms des garçons Rémi et Gabriel et la dernière s’intitule Les morts. Rémi est un garçon de la campagne, il vit dans le Limousin au sein d’une famille distante. C’est un chtonien, il a un rapport sensuel et physique à la terre, il aime s’entourer de silence. La nature est son habitat, malgré son arriération mentale il poursuit sa quête d’un ange. Le narrateur dans une description naturaliste fait allusion à son rapport au corps : « la satisfaction, pleine et entière, n’est pas tant celle du sang s’écoulant, manifestation très extérieure, pour tout dire un peu tapageuse, de la blessure, que la meurtrissure profonde d’une chair qui n’a d’autre moyen de s’éprouver qu’en courant à sa perte, éperdue, vide, intouchée. Tapie dans l’ombre, l’idée que Rémi peinait tant à se faire de son propre corps en ces instants s’incarnait, par la violence de la déchirure délibérée, dans le prolongement d’une cicatrisation lente.» Mathieu Riboulet est adepte des longues phrases, il étire ses descriptions, alterne l’évocation physique et les détails psychologiques. Toujours à l’affût du comportement et des actes de Rémi, le narrateur décrit la situation : « il reprit le sillon où il l’avait laissé, retomba dans l’ornière de bêtise dont sont tissés les jours. Ses parents et sa sœur, dépassés par sa propension à se blesser, n’avaient aucune possibilité de comprendre la violence qui le traversait ainsi, moins encore d’en pressentir les effets. De même, leur restait énigmatique l’âpreté qu’il mettait à s’abrutir de travail. (…). Mais Rémi préférait mordre l’asphalte et côtoyer les anges. » Ce portrait du jeune homme indique son léger dérangement, il est en dehors de la norme tout en étant touchant. Pour sa part, Gabriel, le second protagoniste de ce drame contemporain, est parisien. C’est un adolescent à la dérive dont les parents sont morts pendant son enfance dans un accident de voiture. Pour ne jamais oublier, rituellement il se taillade régulièrement le ventre, s’inflige un saignement qui marque son corps d’une cicatrice longiligne qui alimente son souvenir. Avant de rejoindre la région où vit Rémi il expérimente une première relation sexuelle avec un camarade. Le narrateur, sans jugement, expose les faits : « à quelques temps de là il coucha avec Thomas, son meilleur ami, amoureux transi et silencieux depuis des mois, qui prit tout ce que Gabriel lui donnait sans demander son reste. C’était moins compliqué ainsi. Il avait trouvé là la confirmation qu’il cherchait, et n’était pas tombé dans le vide verrouillé de son ventre, c’était déjà ça de gagné. On devrait éviter de coucher avec son meilleur ami, c’est toujours la source de malentendus profonds. C’était la première fois pour Gabriel comme pour Thomas. » Gabriel, est à la dérive, son histoire personnelle avec le drame de son enfance est au cœur de son malaise et de ses troubles. Sa rencontre avec Rémi dans la dernière partie du livre met en présence ces deux gamins déchirés et abîmés. Une fois de plus, le sang est le liquide essentiel ; c’est par ce fluide que se réalise leur lien. Voici la scène : « un peu de sang coula de la main droite de Rémi, goutta sur l’omoplate de Gabriel endormi, délicatement perla sur cette carnation diabolique sans éveiller le dormeur. Rémi, entièrement immergé dans la contemplation, touchait à l’imbécillité.» Ce passage est empreint d’une sensualité étrange.

Le corps des anges est un texte troublant, beau et poétique. La part de fantasmagorie dans cette rencontre entre deux adolescents est forte. Leur contact est viril et sensible. Mathieu Riboulet a un style personnel, le monde qu’il évoque est fantastique et irréel.

Voilà, je vous ai donc parlé du Corps des anges de Mathieu Riboulet paru aux éditions Folio.