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19 Février 2020
Aujourd’hui je vais évoquer Le consentement le récit autobiographique de Vanessa Springora. Ce livre a provoqué un tsunami lors de sa publication en janvier 202O. L’auteur y raconte, trente ans après les faits, sa relation sulfureuse et toxique avec l’écrivain Gabriel Matzneff. Dans le texte il n’est désigné que par ses initiales G. M. Ce récit intime à la première personne est le contrepoint indispensable à la version du romancier diariste.
Le consentement est découpé en six parties chronologiques intitulées : l’enfant, la proie, l’emprise, la déprise, l’empreinte et écrire.Vanessa Springora raconte dans les détails les faits qui ont bouleversé sa vie, l’ont précipitée au bord du gouffre et l’ont saccagée. Ce récit sans pathos ni haine, froid et clinique est sa rédemption et sa façon de témoigner. C’est une catharsis, une thérapie complémentaire au suivi psychologique et au soin psychanalytique. Les qualités littéraires du texte accentuent sa puissance bouleversante. L’écriture est précise, distancée, contondante, sans fioriture. Elle explique tout d’abord la séparation de ses parents pendant sa petite enfance, l’absence cruelle du père, la mère éditrice qui élève seule sa fille sans réel repère masculin. Vanessa est passionnée de littérature ; très jeune, les livres représentent son refuge intime et secret. Un soir, sa mère la convie à participer à un repas où sont présents des intellectuels germanopratins. C’est là qu’elle rencontre pour la première fois G., l’ogre. Elle se souvient de lui : « une prestance évidente. Bel homme, d’un âge indéterminé, malgré une calvitie complète, soigneusement entretenue et qui lui donne un air de bonze. Son regard ne cesse d’épier le moindre de mes gestes et quand j’ose enfin me tourner vers lui, il me sourit, de ce sourire que je confonds dès le premier instant avec un sourire paternel, parce que c’est un sourire d’homme et que de père je n’en ai plus. » Elle décrit le comportement du quinquagénaire, la stratégie de séduction, le rapprochement qu’il initie. Sous son regard concupiscent elle se sent désirée, elle est séduite par l’attention qu’il lui porte. C’est le début de leur histoire, de ce qui sera alors à tort défini comme une passion absolue. C’est avec G. que Vanessa fait pour la première fois l’amour, même s’il ne parvient à la déflorer, mais l’éphèbophile recourt à des subterfuges qui s’y substituent. Dans son récit, en reconstituant son passé elle affirme : « j’ai rencontré G. à l’âge de treize ans. Nous sommes devenus amants quand j’en ai eu quatorze, j’en ai maintenant quinze, et aucune comparaison n’est possible puisque je n’ai pas connu d’autre homme. (…). G. n’était pas un homme comme les autres. Il avait fait profession de n’avoir de relations sexuelles qu’avec des filles vierges ou des garçons à peine pubères pour en retracer le récit dans ses livres. » La narratrice évoque la mise en place de cette relation singulière avec la complicité passive de sa mère. Elle sait que : « (leur) amour est interdit. Réprouvé par les honnêtes gens. Je le sais, car il ne cesse de me le répéter. Je ne peux donc en parler à personne. Il faut faire attention. Mais pourquoi ? Pourquoi puisque je l’aime et qu’il m’aime aussi ? » L’écrivain charmeur fait de la jeune adolescente sa chose, il devient omniprésent dans sa vie, la manipulation apparait a posteriori évidente. Malgré la permissivité ambiante à l’époque, cette relation reste taboue en raison de leur âge respectif. Quelques menaces les conduisent à la prudence et à emménager à l’hôtel. Voilà ce que l’adolescente ressent entre fantasme et réalité : « devoir se cacher, disparaitre, fuir le regard intrusif des témoins, des jaloux, hurler dans une salle d’audience que je l’aime plus que tout tandis qu’on passe les menottes à mon bien-aimé… Mourir dans les bras l’un de l’autre, la peau rongée, collée sur les os, mais d’un seul cœur qui ne bat que pour l’autre… La vie auprès de G. ressemble plus que jamais à un roman. » Bien entendu elle est flattée mais elle n’a pas conscience d’être sous l’emprise d’un pervers narcissique, G. Sa bibliothèque contient des ouvrages dont il lui proscrit la lecture, trop compromettante. Elle se souvient : « j’obéis longtemps à l’interdiction. Deux de ces ouvrages trônent pourtant sur une étagère, à côté du lit. Leurs titres me narguent chaque fois que mes yeux tombent sur l’un d’eux. Mais telle l’épouse de Barbe Bleue, j’ai promis de tenir parole.» Lorsqu’elle lit le journal intime et les romans dont, malgré elle et sans son accord, elle devient la protagoniste elle comprend la réalité du personnage, elle en découvre la face cachée bien que publique. Elle doit admettre la sexualité déviante de G., son infidélité compulsive. Dans son parcours d’adolescente des années 1980, Vanessa Springoraa été prise dans les filets du prédateur Matzneff. Certes, il y a eu des dénonciations auprès de la brigade des mineurs mais cela n’a pas abouti. Les adultes, y compris ses parents, n’ont pas agi, la considérant comme une jeune adulte mature, libre de ses choix. Son corps exprime sa souffrance ; elle est atteinte de rhumatismes précoces, est sujette à un comportement anorexique. Un médecin gynécologue alors qu’elle est hospitalisée malgré son âge précoce lui sectionne l’hymen dans un geste indigne médical odieux, mais elle pardonne. Un jour elle sonne chez Cioran, le philosophe ne répond pas à son appel à l’aide, bien au contraire. Dans son entourage, seul le critique Jean-Didier Wolfromm semble la mettre en garde contre les agissements de G. Après la fréquentation de ce prédateur elle peut affirmer que : « les écrivains sont des gens qui ne gagnent pas toujours à être connus. On aurait tort de croire qu’ils sont comme tout le monde. Ils sont bien pires.» Springora avec Le consentement donne à entendre sa voix, son point de vue, élaboré après des années de souffrance. Elle écrit en guise de conclusion : « je pense qu’il est extrêmement difficile de se défaire d’une telle emprise, dix, vingt ou trente ans plus tard. Toute l’ambiguïté de se sentir complice de cet amour qu’on a forcément ressenti, de cette attirance qu’on a soi-même suscitée, nous lie les mains plus encore que les quelques adeptes qui restent à G. dans le milieu littéraire. » Alors qu’elle a fui le milieu littéraire pendant des années, elle est désormais éditrice et la publication de ce récit est un tournant dans sa vie.
Le consentement est un récit bouleversant qui montre que la littérature ne peut octroyer tous les droits aux écrivains. Ce n’est pas le procès d’une époque même si force est de constater que ce qui est accepté à l’époque des faits, mais déjà légalement condamnable, est aujourd’hui intolérable ; le revirement du milieu littéraire suite à la publication de ce livre en est la preuve évidente.
Voilà, je vous ai donc parlé du Consentement de Vanessa Springora paru aux éditions Grasset.
Cathartique, Vanessa Springora
https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-08-janvier-2020
Long entretien avec l'auteur
Première interview radio de Springora
Springora évoque son récit
Evocation humoristique et poignante des faits