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4 Février 2020
Aujourd’hui je vais évoquer Le complexe de la sorcière le nouveau roman d’Isabelle Sorente. Elle est notamment l’auteur d’un épatant un thriller psychologique, La faille, où l’héroïne était sous l’emprise maléfique d’un pervers narcissique. Son nouvel opus oscille entre enquête historique et roman. Force est d’admettre que cette dichotomie est un peu déroutante au début. C’est un livre résolument féministe dans lequel les personnages masculins sont peu présents.
Voici l’incipit du roman : « c’est une scène terrible, une scène d’interrogatoire. Je ne vois pas la couleur de ses cheveux, juste ses yeux liquides, transparents, immenses. Un homme se tient devant elle. La question qu’il lui pose est toujours la même, et ce n’est pas une question. C’est un ordre. « Dis-le. Dis que tu es une sorcière. » Comme dans un cauchemar, je devine, à l’arrière-plan, l’éclat du métal, les formes inquiétantes d’instruments chauffés à blanc. » La narratrice, prénommée Isabelle, ce qui provoque nécessairement un questionnement sur la portée autobiographique du texte, rapporte cette vision étrange qui est à l’origine de l’écriture du Complexe de la sorcière. Dans un exercice introspectif personnel elle raconte comment ce flash liminaire la conduit à enquêter sur les sorcières. Elle affirme que, contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas au Moyen-Âge qu’elles ont été le plus chassées et stigmatisées. Elle donne des chiffres de morts absolument ahurissants : sur simple dénonciation ou rumeur des femmes ont été tuées car désignées comme sorcières à la vindicte. L’acmé s’est produite en réalité après l’invention de l’imprimerie à la Renaissance. L’enquête historique rejoint la perspective psychanalytique, domaine familier à l’auteur. Le roman est découpé en quatre parties constituant une sorte de crescendo : apparition, chasses, pardon et sabbat. Après quelques recherches elle écrit : « résultat de mes premières investigations : le froid, le gel qui détruit les récoltes, la rudesse du climat ajoutée aux guerres et aux épidémies, tout cela fait partie du contexte de persécution des sorcières. Au nord de l’Europe, les grandes chasses se déclenchèrent souvent après des vagues de froid. Alors plus il faisait froid, plus on brûlait de femmes ? Pas tout à fait.» Isabelle questionne ses origines familiales (Alsace et Italie) pour comprendre son propre lien aux histoires de sorcières. Elle déclare à une amie : « ce que j’en suis venu à croire : le complexe de la sorcière serait ce soupçon permanent de soi instillé aux femmes torturées, ou aux femmes témoins de la torture d’autres femmes de leur famille ou de leur entourage.» Isabelle suit une psychanalyse, elle accepte de pénétrer les méandres de sa conscience afin de démasquer aux tréfonds de sa psyché la sorcière dont elle serait l’héritière. Ses histoires d’amour difficiles pourraient être liées à l’influence tapie des sorcières. Elle est convaincue de la transmission transgénérationnelle, elle croit en la psychogénéalogie. Selon elle, le traumatisme se transmet par les femmes toujours soumises et dominées. Mais le livre n’est pas un plaidoyer contre les hommes.Les références littéraires, historiques et cinématographiques sont nombreuses ce qui confère parfois au roman l’aspect d’un essai. Malgré l’originalité de cet amalgame le lecteur perçoit progressivement une intrigue complexe dont il ne sait si elle est fiction ou réalité.La narratrice a été une adolescente harcelée. Elle raconte des séances pénibles pendant lesquelles des gifles lui sont infligées par ses condisciples ; elle dit également son silence, son acceptation de la position de victime. Ceci est dérangeant, d’autant que sa famille ne se rend compte de rien et ne lui vient donc pas en aide. La violence des comportements adolescents est impressionnante, tout comme le stoïcisme de l’héroïne. Le parallèle troublant entre le harcèlement scolaire dont la narratrice a longtemps été victime et la chasse aux sorcières conduite par les inquisiteurs de tout poil, persuadés du maléfice de ces « bonnes femmes », est au cœur de la théorie d’Isabelle Sorente. Elle interroge sans cesse la féminité. Avec trois amies quadragénaires, Claire, Sarah et Betty, elles se retrouvent et discutent de leur rapport aux hommes, de leurs sentiments, des sorcières. L’Inquisiteur est un protagoniste convoqué plusieurs fois dans le récit. Il traverse les époques, toujours en charge de traquer les sorcières en vue de les éliminer.
Le complexe de la sorcière débute comme une enquête historique dont l’objet rencontre rapidement l’intimité de la narratrice. Dès lors, les deux volets se mêlent, récit personnel et recherche historique, et le lecteur est embarqué dans cet étrange voyage au cœur de la féminité secrète. Elle interroge avec brio la figure de la sorcière et propose sa propre analyse féministe de ce thème.
Voilà, je vous ai donc parlé du Complexe de la sorcière d’Isabelle Sorenteparu aux éditions JC Lattès.
Présentation du livre par l'auteur
Une chronique radio de l'auteur
Chronique sur le précédent roman d'Isabelle Sorente