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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

L'œil de la nuit

Un nouveau roman de Pierre Péju

Un nouveau roman de Pierre Péju

Aujourd’hui je vais évoquer L'œil de la nuit de Pierre Péju. Ce roman se déroule principalement aux États-Unis au début du vingtième siècle et met en scène Horace W. Frinck. Ce personnage est inspiré du médecin éponyme qui a réellement existé. L’auteur a inventé quelques rencontres, notamment celle avec Freud, mais son protagoniste a bien été un des introducteurs de la psychanalyse en Amérique. Sur quelques décennies le narrateur raconte sa vie, ses réussites et ses déboires ainsi que son influence au sein du milieu psychanalytique freudien.

Horace W. Frinck est un enfant dont le père est flamboyant et fantasque. Il assiste très jeune à l’incendie de l’entrepôt familial ; cette scène, où les flammes rouges dominent le paysage, est pour lui un traumatisme réel. Au fil de son existence le feu revient comme un leitmotiv épouvantable. Après ce drame, son père convainc sa femme d’abandonner leurs enfants chez les grands-parents maternels et de partir à l’aventure vers l’ouest pour faire fortune. L’épouse meurt bientôt de tuberculose, le père déserte définitivement sa famille. Horace grandit auprès de son grand-père adoré, et, comme lui, se rêve médecin, plus précisément chirurgien. Mais une fracture à un doigt lui interdit l’accès à cette carrière ; il s’intéresse alors à la psyché et entend importer la méthode d’un neurologue viennois en vogue : Sigmund Freud. Le roman ne suit pas la chronologie des faits, des flashbacks permettent de reconstituer les éléments marquants de la vie de Frinck. Les scènes narratives se succèdent de l’enfance aux études de médecine, de la rencontre avec Doris son épouse à la naissance de ses enfants, des balades dans New York comme accompagnateur de Freud à la relation avec sa richissime amante Angelica, de son lien avec son analyste à sa solitude mélancolique.

Frinck souffre de quelques troubles psychiques. Il commence une analyse à New York qui lui ouvre des débouchés. Ainsi : « à trente-deux ans, psychiatre à l’hôpital, professeur de neurologie à Cornell, il était un psychanalyste de fraiche date dont le cabinet ne désemplissait pas. » En 1909, Freud vient en Amérique avec deux de ses disciples pour donner des conférences. A cette occasion, Horace rencontre le maitre qu’il retrouve quelques années après à Vienne. Il se souvient : « il revoyait les moments qu’il avait passé dans les rues de New York, en 1909, seul à seul avec celui qui acceptait aujourd’hui de le prendre en analyse. » Il devient le messager outre Atlantique de Freud auprès duquel il suit une brève psychanalyse. Voilà comment sa vocation nait : « la première fois que Horace Frinck fut attiré, puis captivé par la psychanalyse, c’était en 1908, à la bibliothèque de l’hôpital. Il venait de tomber sur un article très court, publié dans les dernières pages d’un numéro de la revue de l’Association neurologique de New York. » Cette lecture décide de sa carrière et de son attrait pour cette nouvelle thérapeutique. Alors que la guerre frappe en Europe : « certains soirs de cet étrange printemps 1915, après avoir passé la matinée dans son service de l’hôpital, et l’après-midi à écouter les névrosés allongés sur son divan, Horace W. Frinck descendait déambuler une heure ou deux dans les rues de New York sans but. » Horace n’est pas totalement épanoui auprès de Doris et depuis sa rencontre avec Angelica qu’il a pris en analyse il est perturbé. Cette nouvelle relation passionnelle le déborde ; contrairement aux préceptes de l’analyse, Horace n’a pas résisté au transfert et au désir de sa patiente, il a succombé à son charme attirant. Cette femme mariée se fait entremetteuse auprès de Freud et surtout finance les voyages de son amant. Il se rend deux fois en Europe où il éprouve une fascination pour Paris. Cette ville l’envoute tout comme il est subjugué par Freud. Il devient son représentant officiel en Amérique après avoir été élu au sein de la société de psychanalyse. Cependant sa solitude est réelle : « Horace arriva à New York aux premiers jours d’octobre 1921. Personne ne l’accueillit quand son bateau accosta. Il avait hâte de retrouver Angelica et était effrayé à l’idée de revoir Doris. Il avait honte d’être parti si longtemps sans se soucier de ses propres enfants. » Sa vie familiale est un échec, le conseil de Freud de suivre Angelica se révèle pervers. D’ailleurs, un confrère constate : « au fond de vous vous êtes un jouisseur, docteur Frinck ! Jouir est resté chez vous une obsession enfantine, même si vous êtes aussi obsédé par la punition. Un châtiment qui, pour vous, consiste à voir tout brûler, et à brûler vous-même. » Ce diagnostic où le feu a sa part est pertinent. A la fin du roman, le narrateur indique que : « quant à lui, Horace, rien ne prouve que quelqu’un l’ait un jour vraiment aimé, ou juste un peu compris. C’est vrai qu’à l’approche de la fin, à l’approche des chutes, si on tente de faire un bilan sommaire, il ne reste pas grand-chose. Quelques instants de clarté vacillante. Rêves et mirages. De l’écume et des bulles. »

L'œil de la nuit est un roman sensible. Le titre évoque la difficulté de sommeil du protagoniste confronté à ses démons et sa névrose. Son portrait nimbé de l’ombre de Freud et de ses disciples est très réussi. Ce roman est une défense de la psychanalyse, sujet récurrent dans l’œuvre de l’auteur et la mise en lumière d’un personnage oublié de l’histoire du freudisme.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'œil de la nuit de Pierre Péju paru aux éditions Gallimard.

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