Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Le ghetto intérieur

Un roman intime de Santiago H. Amigorena

Un roman intime de Santiago H. Amigorena

Aujourd’hui je vais évoquer Le ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena. Ce texte intime est inclassable et bouleversant. L’auteur invente un roman à partir de son histoire personnelle et familiale à travers la figure et l’histoire de son grand-père Vicente. Celui-ci a quitté la Pologne avant l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne pour s’installer en Argentine. Amigorena précise : « Vicente Rosenberg était arrivé en Argentine au mois d’avril 1928 avec très peu d’argent en poche et une lettre de recommandation de son oncle pour la Banque de Pologne à Buenos Aires. » Le jeune homme s’installe, ouvre un commerce de meubles assez rapidement prospère. Il est avec Rosita sa femme adorée, leurs trois premiers enfants naissent. Il est heureux avec son épouse, ses amis et sa famille. Lors de son exil Vicente a cependant laissé à Varsovie sa mère et son frère ainé.Certes, il les a invités à le rejoindre outre Atlantique mais sans trop insister. Au début de la seconde guerre mondiale : « Vicente était un jeune juif. Ou un jeune Polonais. Ou un jeune Argentin. En fait le 13 septembre 1940, Vicente Rosenberg ne savait pas encore au juste ce qu’il était. » Son identité ne se définit alors pas par sa judéité à laquelle il est peu attaché. C’est la politique d’extermination des nazis dont sa famille est victime qui le pousse à être juif.Le narrateur indique que : « lorsqu’il était parti de Varsovie, sa mère lui avait fait jurer qu’il écrirait une fois par semaine. » Bien entendu Vicente est négligent, il n’écrit pas régulièrement. Tout comme il ne force pas sa mère à le rejoindre. Il est jeune et insouciant, inconscient des drames qui se préparent en Allemagne.

Le ghetto intérieurest le récit des mois de guerre pendant lesquels Vicente n’a plus de nouvelle de sa famille alors qu’il apprend ce qui se trame vis-à-vis des juifs. Progressivement, il développe un immense sentiment de culpabilité qui le conduit à perdre la capacité de parler. Santiago H. Amigorena a lui-même un syndrome proche qu’il explique et analyse avec cette ascendance et l’histoire tragique du XXe siècle. Le silence est au cœur de ce roman taiseux.

L’absence de lettre de sa mère et les rares informations fiables en provenance de Pologne commencent à inquiéter Vicente. Il sait qu’: « on aime nos parents, puis on les trouve chiants, puis on part ailleurs… C’est peut-être ça être juif. »Mais le manque de certitude l’accable, l’inquiétude le ronge. A l’époque, la connaissance des exactions perpétrées par les nazis est parcellaire. L’auteur indique que : « Vicente, quant à lui, bien que juif et polonais, était encore moins bien informé que la plupart des gens, même les Argentins qui, nés en Argentine, n’avaient jamais mis un pied en Europe. »A partir des rares lettres de sa mère et de quelques articles de journaux il se forge une image de la réalité. Tandis que sa mère se retrouve enfermée à l’intérieur du ghetto de Varsovie comme en témoigne un des rares courriers reçus par son fils celui-ci s’enferme pour sa part dans songhetto intérieurqui devient progressivement son silence. Il reçoit une dernière lettre qu’il cache à sa femme, il en reste le seul et unique dépositaire. Son petit-fils écrit : « il voulait parler, mais, prisonnier du ghetto de son silence, il ne pouvait pas parler. Il ne savait plus. » Cet état de renoncement aux autres, d’enfermement sur soi pour absorber seul l’immense peine et la douleur de la probable perte de sa mère est bouleversant. Il devient indifférent à ses enfants et à son épouse, il s’enferme dans une bulle personnelle hermétique. Voilà quelques éléments relatifs à ce qui se déroule dans l’est de l’Europe mais dont Vicente n’a pas l’intégrale connaissance : « dès le début du nazisme, la bureaucratie allemande avait pu s’appuyer sur des précédents et se référer à des recettes établies par la chrétienté ; ses fonctionnaires avaient pu puiser à volonté dans une vaste réserve d’expérience administrative que l’Église et l’État leur avaient constituée. (…). 20 janvier 1942, dans une villa calme isolée dans un grand parc de Berlin (…) quinze des plus hauts responsables du IIIe Reich s’étaient retrouvés là pour discuter de l’organisation administrative, technique et économique de la « solution finale de la question juive » voulue par Hitler. »Santiago H. Amigorena ajoute que : « Vicente, bien sûr, n’était pas encore au courant de tout ça. Il ne savait pas que les Allemands avaient commencé la construction des camps d’extermination et il ignorait également, malgré ce que lui avait écrit sa mère, les véritables conditions de vie dans le ghetto de Varsovie. » Pourtant, il comprend qu’il ne reverra pas sa mère vivante et se mure dans son silence. C’est lorsque Rosita lui dit qu’elle est enceinte qu’il prononce en 1945 quelques mots. Santiago, son petit-fils, en rendant hommage à son aïeul reconstitue son extrême douleur teintée de culpabilité et la réalité de la Shoah. Dans le texte il s’attarde sur les mots et la difficulté à nommer et à déterminer cette période de l’histoire contemporaine.

En conclusion de son texte Santiago H. Amigorena constate que : « l’antisémitisme a fait fuir d’Europe mes aïeuls. Les dictatures latino-américaines m’ont fait fuir avec mes parents l’Argentine puis l’Uruguay – pour retourner en Europe. J’ai dû quitter mon pays, ma langue maternelle, et mes amis. Comme mon grand-père, j’ai trahi : je n’ai pas été là où j’aurais dû être. Mais je ne me plains pas. Ça a été ma vie. La seule que j’ai vécue. » Son texte est très fort et pudique. La narration de cette histoire familiale évoque la transmission transgénérationnelle d’un silence. C’est une explication généalogique au propre silence de l’auteur, un regard quasi psychanalytique sur la naissance d’un silence qui se retrouve à des années de distance. Leghetto intérieurest composé notamment à partir d’archives et des quelques lettres de son arrière-grand-mère qu’il a retrouvées.

Voilà, je vous ai donc parlé duGhetto intérieur de Santiago H. Amigorena paru aux éditions POL.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article