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11 Septembre 2019
Aujourd’hui je vais évoquer Amazonia le dernier roman de Patrick Deville. Ce nouvel opus s’inscrit dans son projet démesuré intitulé Abracadabra dont il a déjà publié plusieurs tomes. C’est à ma connaissance la première fois qu’il mentionne ce titre global. Le style et les histoires de Deville sont reconnaissables, le lecteur fidèle n’est pas désorienté par ce roman composite et protéiforme. Il mêle avec enthousiasme des histoires personnelles et intimes avec la grande histoire humaine, ici focalisée en forêt amazonienne et sur le continent sud américain.
Le fil conducteur d’Amazonia est le voyage au long cours de l’auteur avec son fils Pierre réalisé en 2018. Ils remontent ensemble le fleuve Amazone de son embouchure Atlantique jusqu’à Iquitos puis ils traversent l’Equateur jusqu’au Pacifique et poussent encore plus à l’ouest vers les Galápagos. Leur périple fluvial terrestre et maritime se situe toujours environ à la même latitude équatoriale. La narration du trajet des deux hommes est rythmée par la répétition des chapitres intitulés « père & fils ». Le roman commence ainsi : « une violente averse bousculait le navire, l’eau pénétrait par la jointure des hublots. Nous allumions une petite lampe. Dans la pénombre de la cabine baignée d’air chaud, Pierre à contre-jour emplissait un carnet. » Le narrateur, Patrick Deville est un écrivain reconnu, un voyageur émérite et un boulimique de lecture, organisateur de nombreux festivals et prix littéraires. Son fils, jeune trentenaire, est musicien, il dessine et prend des notes. Comme le répète l’auteur « les chiens ne font pas des chats ». Ces deux-là ensemble sont plutôt taiseux, pourtant le fils a accepté la proposition paternelle de s’engager dans cette aventure amazonienne sur les traces d’écrivains voyageurs et à la découverte des richesses, des beautés et des histoires locales.
Amazonia est un récit trépidant et labyrinthique. Patrick Deville écrit avec aisance et dithyrambe ; il est un adepte du coq à l’âne sans transition et des associations d’idées qui lui permettent de digresser sans cesse. Cependant, la globalité forme un texte chaotique mais paradoxalement très cohérent, régulièrement le lecteur revient à bord de l’embarcation et progresse vers Iquitos au Pérou. Avant cela les principales escales sont Belém, Santarem, et Manaus. Chaque lieu a une histoire que Deville raconte avec affection et talent. La terre sud américaine et sa forêt primaire sont au cœur du voyage pourtant les embardées vers l’Afrique ou l’Asie sont nombreuses. Lorsqu’il évoque par exemple la culture des hévéas et la production du caoutchouc il est forcé de raconter également le transfert de l’arbre en Indonésie et la ruine de la splendeur amazonienne. Manaus est une ville extraordinaire, au temps de sa gloire son opéra en lisière de la jungle accueillait ténors et cantatrices. Désormais, cette ville perdue et décrépie périclite ; sur les berges du fleuve des carcasses de bateaux s’enfoncent dans les eaux troubles. Après Iquitos, le voyage se poursuit en Equateur à travers les Andes pour rejoindre Quito, et ensuite Guayaquil puis sur les îles Galápagos où se situe l’épilogue de ces semaines de cohabitation tendre et affectueuse entre le père et le fils. Pierre est un adulte qui reste l’enfant de son père qui se remémore d’antérieurs voyages communs. Leurs rapports sont globalement apaisés, cette aventure extraordinaire contribue à les rapprocher et les aide à se comprendre et probablement s’aimer.
La date du 21 février est pour Deville emblématique, il explique pourquoi et recense une liste non exhaustive des événements survenus ce jour-là dans une sorte de fétichisme numérique compulsif. Pour accompagner les longues heures sur le bateau il est accompagné d’une bibliothèque fournie. En passeur enthousiaste, il incite à lire Blaise Cendrars, Claude Lévi-Strauss, Werner Herzog, Charles Darwin et bien d’autres. Dans Amazonia les citations sont nombreuses, le texte se révèle un collage où la prose de l’auteur côtoie celle de nombreux autres écrivains. L’œuvre romanesque de Deville témoigne de sa grande culture littéraire et géographique de voyageur insatiable. Amazonia est en constante résonance avec ses romans précédents et instaure un dialogue entre les différents chapitres des multiples opus. Des personnages déjà fréquentés comme Yersin, Pasteur, Lowry ou Cendrars sont à nouveau évoqués et convoqués dans ces pages. Tout en étant indépendant ce roman est un écho sonore aux autres ouvrages de l’auteur. Il fait régulièrement le point de l’avancement de son projet littéraire qu’il construit avec méticulosité et persévérance. Il précise : « alors que depuis vingt-deux ans je tentais de suivre autour du monde les soubresauts historiques et politiques depuis cette fatidique année 1860 de la deuxième révolution industrielle, je devais bien constater que, par-delà les conflits, les péripéties, les avancées technologiques, l’événement le plus considérable de ces vingt-deux dernières années était le bouleversement climatique en cours, auprès de quoi le reste paraissait anecdotique. » La composante écologique est omniprésente et les constats dressés sont souvent désespérants. A l’échelle d’une vie humaine de voyageur obsessionnel Patrick Deville peut énumérer des modifications visibles et perceptibles. L’élection du nouveau président brésilien est un facteur de risque et de peur supplémentaire. Le romancier à travers son œuvre est un lanceur d’alerte ; en revenant régulièrement sur certains sites il constate et déplore les ravages et les dégradations infligés à la fragile et résiliente nature.
Amazonia est un formidable roman qui s’inscrit dans un projet très ambitieux. Le style atypique, les collages et les digressions incessantes peuvent dérouter et perdre le lecteur mais c’est selon moi ce qui fait le charme des romans épatants de cet écrivain voyageur attaché à peindre le monde tel qu’il va et dysfonctionne depuis deux siècles.
Voilà, je vous ai donc parlé d’Amazonia de Patrick Deville paru aux éditions du Seuil.
Devine présente Amazonia
Chronique du précédent roman de Deville
Vidéo louangeuse sur ce roman