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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Soigner les fous

Un essai roboratif sur la psychiatrie médicamenteuse

Un essai roboratif sur la psychiatrie médicamenteuse

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à l’essai de Michel Caire Soigner les fous. Le sous-titre, Histoire des traitements médicaux en psychiatrie, permet de circonscrire l’objet de la recherche. Cette somme monumentale constitue un ouvrage à teneur médicale avérée cependant accessible aux non spécialistes. Le bouquin est passionnant pour les lecteurs ignorants du monde médical en raison de l’accent mis sur l’évolution historique des approches médicales pour soulager et traiter la folie. Quelques grands noms de la psychiatrie historique sont convoqués : Kraepelin, Pinel, Charcot, Delay ou Deniker. L’auteur ne propose pas de définition précise du terme « folie » mais il délimite bien le champ de son ouvrage. Il précise que : « la psychiatrie moderne est née au tout début du XIXe siècle. Et dès sa naissance, elle a cherché à affirmer sa spécificité, avec la théorie de l’isolement, le traitement moral, l’asile qui fait fonction de remède et une législation spécifique. Plus tard, les efforts tendront à rapprocher l’asile de l’hôpital – la clinothérapie et la morphine en seront des outils –, et à offrir aux malades le régime commun, avec la fin du tout internement et la création des services libres. » Force est d’admettre que la psychiatrie dont il est ici question est une branche de la médecine relativement jeune dont les plus grands succès datent de la seconde moitié du XXe siècle. En fonction des époques, la terminologie a évolué, les maladies mentales également ainsi que le regard qui est porté sur les fous. Cet essai n’évoque qu’à la marge les psychothérapies puisqu’il privilégie l’approche médicale des désordres psychiques.

Le sommaire très détaillé de l’ouvrage présente les titres des chapitres qui permettent d’embrasser la perspective chronologique adoptée. En effet, des débuts des traitements médicaux et chirurgicaux à l’avènement des psychotropes efficaces, c’est un long parcours qui est décrit. L’acmé des soins des fous est probablement atteint avec l’invention, dans les années 1950, des premières molécules efficaces : la chlorpromazine, le sel de lithium, le valium, les benzodiazépines. Ce sont des traitements longtemps espérés par les psychiatres et leurs malades. Grâce à cette médication chimique, les camisoles, les contentions et l’isolement peuvent être assouplis. Avant cela, médecins et malades ont testé des dizaines de potions ou de techniques qui sont présentées de façon relativement exhaustive dans le livre. A l’aune des connaissances actuelles et de la considération désormais portée aux droits des malades mentaux bien des traitements apparaissent aujourd’hui comme fantaisistes, stupides ou barbares. Michel Caire précise que : « parmi les spécificités de la psychiatrie et de ses thérapeutiques, le rôle attribué au cerveau dans la détermination des troubles et la recherche d’agir au plus près du lieu de leur origine ont conduit à inventer les méthodes les plus diverses, comme l’application sur la tête de médicaments et de moyens de réfrigération, l’électrisation du crâne et les interventions les plus hardies telles que les injections de substances pharmacologiques dans le cerveau et la psychochirurgie. » En quelques mots il résume les modalités de soin qui dominaient.

L’approche historique proposée est fondamentale pour mesurer les progrès dans la prise en charge médicamenteuse des fous. Il est impossible de mentionner tous les essais thérapeutiques qui ont existé. Cependant, voici une brève liste de quelques uns des traitements évoqués dans le livre sans catégorisation rigoureuse. Certaines méthodes visent à éliminer la cause du mal ; pour cela le médecin injecte des substances, fait absorber des potions qui doivent faire vomir, expectorer, il s’agit de purger le corps de ses scories. Il peut aussi dispenser des stimulations électriques ou baigner le corps du malade dans l’eau. Le recours à des saignées fait partie des alternatives appliquées. Les bains, chauds ou froids, font partie de l’arsenal médical dominant. L’eau est un élément central de certains traitements. Phytothérapie, homéopathie, opothérapie ne sont pas l’apanage des soins du corps, elles servent aussi pour soigner les malades mentaux. Au fil des pages, les principes à l’œuvre dans les tentatives de soin font appel aux plantes, aux minéraux ou aux vitamines. L’insuline est utilisée afin de provoquer des comas insuliniques réputés bienfaiteurs pour certaines pathologies mentales ; le quinquina, la cocaïne, la caféine, le LSD, le nénuphar font aussi partie des thérapies envisagées. La liste se poursuit : l’alimentation est un facteur de soin ; le jeûne, la cure de sommeil, la privation de sommeil, la contention sont proposées. L’hypnose, le magnétisme, la transfusion sanguine et l’électricité peuvent figurer sur la liste des thérapies médicales. Souvent, les effets secondaires des traitements proposés sont mal maitrisés et les expérimentations sont nécessaires pour adopter la meilleure posologie. Des traitements invasifs du cerveau existent. La trépanation, les injections intracérébrales, la neurochirurgie, les électrochocs, la lobotomie, la malariathérapie, la castration, la lumière intense sont convoquées. L’accumulation de ces mots provoque un effet d’angoisse et de trop plein. Le livre est découpé en brefs chapitres et notules ce qui permet d’effectuer des pauses afin d’éviter l’effet de saturation au cours de la lecture.

En guise de conclusion, après le cheminement au fil des nombreuses thérapeutiques envisagées, l’auteur insiste sur le fait que : « les psychotropes ont contribué à soulager la souffrance des malades et à les préserver d’un internement de longue durée. Ils ont aussi grandement facilité le développement des soins ambulatoires et donc l’évolution du dispositif de soins, nourrie dans notre pays par un mouvement d’idées connu sous le nom de « psychothérapie institutionnelle » qui a ouvert la voie à la politique de sectorisation en psychiatrie publique. » L’invention de ces médicaments a radicalement changé le rapport au fou, son intégration dans la société et le rôle du médecin et des soignants.

L’ouvrage de Michel Caire est passionnant ; cet essai est complémentaire notamment de textes plus anciens spécifiquement consacrés aux médicaments psychotropes : Des paradis plein la tête d’Edouard Zarifian d’une part et Le grand secret de l’industrie pharmaceutique et Comment la dépression est devenue une épidémie de Philippe Pignarre.

Voilà, je vous ai donc parlé de Soigner les fous de Michel Caire paru aux éditions Nouveaux Mondes.

Deux ouvrages complémentaires
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