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7 Mars 2019
Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Sodoma le roboratif essai de Frédéric Martel sur les secrets et l’omerta du Vatican. Il est notamment l’auteur, il y a plus de vingt ans, d’une somme documentée sur l’histoire du mouvement homosexuel en France après 1968 : Le rose et le noir. Ce journaliste, sociologue de formation et ouvertement gay, propose ici une Enquête au cœur du Vatican fort bien étayée. Il s’agit d’une immersion au sein de Sodoma, ce monde feutré de la hiérarchie catholique. L’auteur révèle l’incroyable omniprésence des gays au sein de la cité papale et leur pouvoir fait de rivalités où selon lui l’homosexualité tient un rôle essentiel. Ce livre est le résultat d’une enquête de terrain de quatre ans, des dizaines d’entretiens ont été réalisés à tous les niveaux de la pyramide ecclésiastique. La plupart des propos sont rapportés « à visage découvert », les conversations étaient enregistrées de façon visible ; quelques interviews sont livrées sous pseudonyme afin de garantir l’anonymat des protagonistes. L’essai couvre le règne de quatre papes et reconstitue à partir de témoignages directs les vicissitudes en vigueur au Vatican.
La première partie est consacrée à l’actuel pape François, les trois autres parties suivent l’ordre chronologique des règnes successifs de Paul VI, Jean-Paul II et Benoit XVI. L’épais essai dresse un panorama sombre du pouvoir vaticanesque. Au fil des chapitres, Frédéric Martel énonce quatorze règles sociologiques sur le fonctionnement du Vatican. Son propos n’est pas tant la dénonciation de l’homosexualité du clergé que celle de l’hypocrisie permanente et de ses conséquences. Sa thèse principale a trait à l’omniprésence de gays dans toutes les strates de l’église et sur la contradiction induite entre ces affinités et l’affichage obscène de la réprobation systématisée et stigmatisante de l’homosexualité. Pour l’auteur, l’objet du bouquin n’est pas de s’attarder sur les multiples scandales qui sont néanmoins évoqués mais de dénoncer l’hypocrisie et ses ravages. Voici à titre d’exemples les premières règles proposées par Martel pour comprendre l’importance de la question de l’homosexualité au sein de l’église catholique : « Le sacerdoce a longtemps été l’échappatoire idéale pour les jeunes homosexuels. L’homosexualité est l’une des clés de leur vocation. (…). L’homosexualité s’étend au fur et à mesure que l’on s’approche du saint des saints ; il y a de plus en plus d’homosexuels lorsqu’on monte dans la hiérarchie catholique. Dans le collège cardinalice et au Vatican, le processus préférentiel est abouti ; l’homosexualité devient la règle, l’hétérosexualité l’exception. (…). Plus un prélat est véhément contre les gays, plus son obsession homophobe est forte, plus il a de chances d’être insincère et sa véhémence de nous cacher quelque chose. (…). Plus un prélat est pro-gay, moins il est susceptible d’être gay ; plus un prélat est homophobe, plus il y a de probabilité qu’il soit gay. » Ces règles peuvent choquer, il pourra être reproché à l’auteur l’absence de contradiction à ses propos ; pourtant, preuves à l’appui la démonstration est convaincante.
« Etre de la paroisse » est l’expression favorite pour désigner les hommes d’église qui ont des tendances homophiles. Certains sont des « pratiquants » assidus y compris parmi les plus proches collaborateurs des papes. Le quartier de la gare de Termini est réputé pour ses prostitués masculins, dont beaucoup ont des prêtres pour clients. L’auteur les rencontre et recueille leurs témoignages. Mais la technologie s’immisce aussi au Saint-Siège où le recours aux applications connectées facilite les rencontres pour les prélats. Le luxe pour ne pas dire la luxure dans lequel vivent les plus hauts dignitaires catholiques à Rome et au Vatican est ahurissant. Dans l’enquête, des chiffres invérifiables circulent sur la proportion de prêtres, d’évêques et de cardinaux gays. Ils seraient de l’ordre de 60 à 80 % selon les sources. Dans une démarche sociologique, la définition de portraits sous forme d’idéaltype est proposée : « au terme de cette enquête, cinq profils principaux de prêtres se dessinent, recoupant l’essentiel de nos personnages : la « vierge folle » ; l’ « époux infernal » ; le modèle de la « folle par affection » ; le « Don Juan pipé » ; et finalement le modèle La Mongolfiera. » Le lecteur peut ainsi cartographier les différents types de religieux homosexuels. Le Vatican a ses codes et ses secrets, ses formules aussi comme par exemple être créé cardinal qui est le privilège octroyé au pape de choisir et d’élever à ce rang les évêques selon son propre désir. L’essai est très dense, malgré quelques organigrammes simplifiés, il est parfois difficile de s’y retrouver parmi tous les personnages. Néanmoins, l’intérêt de l’ouvrage plus que de retenir les noms de protagonistes et leurs liens est de comprendre le fonctionnement du système, les rouages du pouvoir, les luttes d’influence entre les clans. Il est impossible de résumer en quelques phrases toutes ces données. Voici cependant quelques éléments clés à retenir pour comprendre cette coterie influente. Paul VI est très marqué par les ouvrages d’un philosophe français du XXe siècle, Jacques Maritain. Frédéric Martel explique leur relation et le rôle de ses théories dans la ligne directrice du souverain pontife. Jean-Paul II soutiendra sans faille le mexicain Marcial Marciel à la tête des Légionnaires du Christ qui est impliqué dans de nombreux scandales pédophiles. Ce pape atteint par la maladie délègue à un compatriote polonais la gestion de l’église. Son obsession anti-communiste est à l’égal de sa dénonciation de l’homosexualité et de son refus de prôner l’usage du préservatif dans les années du pic de l’épidémie mondiale de sida. Benoit VXI est rigoriste en apparence. Pourtant, son secrétaire particulier tient une place prépondérante dans sa vie, mais eux aussi livrent un combat irrationnel contre l’homosexualité malgré les rumeurs sur leurs propres penchants. D’après Martel, l’homosexualité refoulée des hommes d’église explique l’homophobie affirmée par cette institution sous la houlette des papes. François semble plus tolérant, mais il est confronté à des difficultés pour « nettoyer » l’église sans perdre tous ses fidèles. Il fait face à une fronde interne de la Curie. Incontestablement la question du célibat des prêtres est centrale. Cela induit le recrutement d’homosexuels refoulés qui deviennent ensuite les pires homophobes.
Bien que Frédéric Martel s’en défende, son livre a une forte composante de name dropping. Certes, il affirme ne pas faire de révélations autres que des noms déjà connus. Néanmoins, dans les arcanes de l’organisation de la Curie romaine où les gays sont légion il est facile de se perdre. L’ouvrage est très documenté, l’auteur abuse parfois de la mise en scène de ses entretiens et des voyages à travers le monde pour récolter ces paroles inédites. Le bilan est très positif malgré l’impression de trop-plein, la multiplicité de non-dits et d’hypocrisies. Après toute la noirceur de l’enquête, l’épilogue est lumineux. L’auteur écrit : « au cœur de l’Eglise, dans un univers hautement contraint, des prêtres vivent leurs passions amoureuses, et ce faisant, sont en train de renouveler le genre et d’imaginer de nouvelles familles recomposées. » Martel décrit quelques amours heureuses et évoque avec émotion et tendresse le prêtre de sa jeunesse dont il a découvert récemment qu’il était homosexuel et mort du sida abandonné de tous. Son optimisme semble décalé par rapport au reste de l’ouvrage.
Voilà, je vous ai donc parlé de Sodoma de Frédéric Martel paru aux éditions Robert Laffont.
Un entretien avec Frédéric Martel
Une seconde interview
Frédéric Martel présente son enquête vaticane
Le bouquin fait le buzz
Chronique sur un roman de Dos Santos sur le Vatican