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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Capitaine

Le second roman d'Adrien Bosc

Le second roman d'Adrien Bosc

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Capitaine d’Adrien Bosc. C’est son second roman, le premier, Constellation, racontait un vol tragique au dessus de l’Atlantique à bord d’un avion qui allait s’abîmer en mer avec parmi ses passagers Marcel Cerdan. Il s’intéressait au destin des victimes célèbres et anonymes. L’auteur dans son nouvel opus réitère la mise en scène de faits historiques qu’il romance et inclut dans sa narration fictionnelle. L’histoire est celle d’un bateau quittant la France et la barbarie nazie au printemps 1941 afin de rallier l’Amérique. Les passagers qui ont pris place à bord doivent rejoindre les Antilles avant de poursuivre vers l’Amérique du Sud ou New York.

L’action se déroule de mars à juin et retrace l’exil vers l’Amérique des passagers : juifs menacés par le régime de Vichy, apatrides et Républicains espagnols. Autant de personnes dont le gouvernement français estime qu’elles constituent la lie de la société. A Marseille, sur le quai du port les partants se préparent pour l’embarquement. « C’est au pied du Capitaine-Paul-Lemerle que, ce 24 mars au matin, la foule attendait sous l’œil de gardes mobiles armés et casqués. Ce cargo dont la traversée au départ de Cayenne le 28 janvier 40 avait marqué la fin provisoire des liaisons commerciales entre les Antilles et le vieux continent. » La traversée maritime s’effectue dans des conditions difficiles de promiscuité, le bateau n’est pas conçu et aménagé pour cela. Les passagers lient connaissance et malgré l’atmosphère de suspicion ils cohabitent. Le navire à destination de Fort-de-France longe les côtes méditerranéennes, effectue une première escale en Algérie puis, après le passage du détroit de Gibraltar, met le cap vers la haute mer. Le narrateur commente : « combien étaient-il sur ce rafiot ? Trois cents, quatre cents peut-être, autant d’anonymes, une maille indémêlable de récits distincts, contradictoires, la concentration d’une société perdue, en réduction, mouvante… la catastrophe et l’inhérent combat des probabilités, regroupés sur le pont d’un bateau. » Des anonymes croisent quelques célébrités : André Breton, Claude Lévi-Strauss, Anna Seghers, Victor Serge. Ce sont des savants, des intellectuels, des artistes surréalistes ; ils sont français, allemands, polonais. Beaucoup d’entre eux sont juifs ; tous ces hommes et ces femmes fuient la France et cherchent à gagner le nouveau monde et sa liberté. Ils sont tous ensemble sur le Capitaine-Paul-Lemerle où ils vont se côtoyer, se fréquenter et dialoguer. Cet exil est un arrachement, chacune des journées est évoquée chronologiquement. Voici un portrait de Claude Lévi-Strauss l’un des plus illustres passagers : « un air réservé, une grande timidité. Il revêtait pour ceux qui l’approchaient une forme de sévérité, pour d’autres une maladresse gauche. Un sérieux professeur ou un drôle de zigue. Il n’avait rien d’un explorateur, tant mieux car ce n’était sans doute pas ainsi qu’il se serait présenté, d’ailleurs il n’aurait su comment se présenter. » Lors d’une escale ultérieure à San Juan, le même Lévi-Strauss se rapproche d’un scientifique et leur échange est ainsi rendu : « ce fut dès lors un moment étrange, où un apprenti ethnologue spécialiste des Indiens des hauts plateaux du Brésil et un doctorant chimiste expert en fusion nucléaire dissertaient dans le patio d’un hôtel de Porto Rico sur le Concerto pour la main gauche et le final du Boléro, tous deux en fuite, tous deux juifs, tous deux aux portes de l’Amérique. » Malgré les circonstances et la dureté des conditions à bord une insouciance légère permet aux protagonistes de supporter cet exil forcé. A l’approche de l’équateur la traversée devient éprouvante : « la chaleur était telle que la journée, assommés, asséchés, évacués des cales et réfugiés sous les bâches pour ne pas rôtir, les passagers attendaient le soir, allongés sous la tente, s’abrutissaient, seul remède à la lenteur, par une forme d’hibernation inversée, de sieste prolongée indéfiniment. » Puis l’océan cède la place aux Antilles, c’est l’approche de la baie de Fort-de-France. « La Martinique, isolée du reste du monde, sous surveillance rapprochée des navires de guerre américains, présentait, à cet instant précis de l’histoire, un concentré de tous les maux de la civilisation saturée de déviances et d’idéologues mortifères, d’un fond de culotte d’esprit français et de colonialisme barbare, qui sous couvert de mission civilisatrice rétablissait les ordres et les castes de l’Ancien Régime. » La plupart des passagers sont parqués dans un lazaret en attente d’obtenir un visa pour pouvoir continuer leur périple. Cette mise en quarantaine lors de l’escale prolonge l’inquiétude et l’incertitude de la fin du périple. Après l’attente, certains partiront pour Porto Rico puis New York, d’autres seront accueillis par le dictateur Trujillo à Saint-Domingue avant d’aller plus loin. Chaque passager du Capitaine-Paul-Lemerle accomplit son destin loin de la France envahie.

Dans l’épilogue, Adrien Bosc se met en scène et raconte pourquoi cette histoire l’a touché et comment une photographie prise sur le quai à Marseille a provoqué son désir d’écriture et de recherche documentaire. Il explique comment le hasard lui a permis d’exhumer après la rédaction du roman d’autres clichés grâce à la complicité d’Olivier Assayas dont le père avait également fui vers l’Amérique à cette époque. Le travail bibliographique nourrit le roman qui est truffé de nombreux extraits de carnets, de journaux et de citations d’écrits publiés. Ces incises, ainsi que les sources figurant en fin d’ouvrage, sont intéressantes. Capitaine est un second roman presque d’aventure historique qui est passionnant et se lit agréablement même si l’auteur multiplie les digressions et parfois abuse de la mise en scène de ses connaissances.

Voilà, je vous ai donc parlé de Capitaine d’Adrien Bosc paru aux éditions Stock.

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