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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Un certain M. Piekielny

Le troisième roman de François-Henri Désérable

Le troisième roman de François-Henri Désérable

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Un certain M. Piekielny de François-Henri Désérable. C’est le troisième roman de ce jeune auteur très prometteur. Son précédent, Evariste, était une formidable plongée dans le XIXe siècle à travers le personnage d’Evariste Galois, génial mathématicien. Avec ce nouveau titre, il change de siècle et s’attache aux pas d’un écrivain diplomate fascinant : Romain Gary. Il s’ancre ainsi doublement dans la littérature avec ce roman qui explore l’œuvre et la vie de ce personnage fantasque et affabulateur. D’ailleurs, la fiction se confond avec la biographie romancée.

Le narrateur, François-Henri Désérable soi-même, en route pour Minsk où il doit rejoindre des amis pour fêter un enterrement de vie de garçon, à cause d’une correspondance de transport ratée, se retrouve coincé à Vilnius. Il a quelques heures pour déambuler en ville, sans but précis. C’est le début d’une formidable enquête littéraire très personnelle. Face à l’immeuble où un enfant, qui ne s’appelait pas encore Gary, a vécu plusieurs décennies avant, il repense à quelques mots d’un chapitre de La promesse de l’aube qui sont « promets moi de leur dire : au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Pikielny ». Attaché aux détails et aux coïncidences Désérable voit surgir l’ombre de Romain Gary. Il explique que « cette phrase n’avait pas surgi de nulle part. Il avait fallu qu’un jour je la lise, l’enregistre en esprit, qu’elle s’y imprègne et demeure en l’état, immuable parmi les souvenirs, ces morceaux épars flottant çà et là dans les limbes, et qui parfois ressurgissent de manière imprévue. » Le lien à ce texte remonte à son adolescence moment où la littérature devient pour lui plus importante que tout. Il évoque sa jeunesse, ses liens familiaux et son rapport aux études. Comme il le raconte : « vint l’oral du bac de français. J’avais une chance sur vingt de m’en sortir. Je m’y présentai sans espoir, comme le condamné à mort à qui on a lié les mains dans le dos, bandé les yeux, demandé s’il veut prononcer une dernière phrase et qui, attendant la salve en bombant la poitrine, devinant l’officier sabre au clair et ses bourreaux fusils en joue à dix pas, commande lui-même le peloton et s’écrie : Feu ! » Le ton est grandiloquent, l’auteur en herbe a déjà un destin littéraire, l’examinateur l’interroge sur La promesse de l’aube de Romain Gary. » Succès garanti, bonne note assurée : la chance est avec lui, c’est le genre de signe qui le convainc qu’il a raison de se rêver en écrivain. Même s’il est aussi un hockeyeur de niveau national ce désir d’écrire ne le lâche pas. Quelques pages du roman mettent bien en lumière son rapport compliqué avec sa mère. Celle-ci veut absolument que son fils fasse une thèse de droit, selon elle, l’écriture ne saurait être un métier, ni même une vocation. Elle apparaît plutôt autoritaire. Il commence par suivre les injonctions maternelles mais parviendra à s’en émanciper. Le lecteur n’a pas la certitude que cette femme a aujourd’hui compris la passion et le talent de son fils. Gageons que ce roman y contribuera.

La phrase de Gary qui le hante et guide ses recherches revient comme un leitmotiv dans le roman. Il sait que « la mémoire est despotique, mouvante et sélective, elle trie arbitrairement, selon son bon plaisir. Ainsi oublie-t-on peu à peu le visage de sa grand-mère, mais demeure le souvenir précis, vivace, immuable, d’une partie de scrabble avec elle. Où donc est la logique ? Je n’en sais rien. On oublie les titres des films qu’on a vus, des livres qu’on a lus, et on se souvient d’une scène, d’une phrase ou de tout un chapitre. Je n’avais pas oublié le chapitre VII de la Promesse. Ni bien sûr le nom de Piekielny. » Le nom de ce personnage de l’autobiographie de Gary éclaire le titre de Désérable. Il repense à ce qu’a écrit Gary, mais peut-on lui faire confiance quant à la véracité des propos ? Adepte des identités multiples, l’ancien résistant a été Emile Ajar, ce qui lui a valu d’être couronné deux fois par le prix Goncourt. En archiviste bénédictin, l’auteur cherche la vérité, il accumule des informations et met en branle son imagination. Il suppute que Piekielny était violoniste et dans la ville de Vilnius assiégée par les nazis il ne peut longtemps résister. Pourtant, il commet un dernier acte de bravoure et de liberté : « alors il a ouvert l’étui et il s’est d’abord saisi de l’archet dont il a longuement, méticuleusement caressé la mèche, passant et repassant les crins entre son pouce et son index, puis fermant un poing sur le talon et l’autre sur la pointe, il l’a brisé net, en deux morceaux, contre sa cuisse ». La description de la scène de destruction volontaire de l’instrument de musique vénéré se poursuit sur quelques lignes, particulièrement émouvante. Le lecteur au fil des chapitres partage les hypothèses, les désillusions et les espoirs de l’enquêteur. L’existence de Piekielny reste douteuse mais peu importe cela permet à Désérable de s’unir à Gary, d’inciter à le relire, et de composer un passionnant roman. Et il n’hésite pas à parler de lui. Evoquant ses débuts en littérature avec son Tu montreras ma tête au peuple François-Henri Désérable précise : « ce premier livre reçut quelques prix littéraires – pour des raisons que je ne m’explique pas mais ce sont, paraît-il, des choses qui arrivent. Je n’en tire aucune gloire, d’autres auteurs les méritaient tout autant ; je fus le plus chanceux voilà tout. Pour autant je ne boudai pas mon plaisir : je n’avais pas de quoi m’acheter un appartement rue du Bac (…) mais je pus m’offrir un scooter ». Cette fausse modestie affichée pourrait être agaçante, comme son ton détaché et dilettante. Mais le talent littéraire avéré de François-Henri Désérable le rend plus que sympathique et le lecteur lui pardonne cette attitude.

Un certain M. Piekielny est beaucoup plus qu’une biographie romancée et déguisée de Romain Gary. C’est un autoportrait d’un auteur obsessionnel en quête de vérité et de légitimité. Les références littéraires foisonnent, le réel travail de documentation n’est pas pesant, c’est une formidable réussite qui mérite d’être couronnée d’un prix littéraire sans délai. C’est une réflexion sur l’art d’écrire, sur le rapport à la vérité. Je conseille aussi la lecture de Mariage en douce d’Ariane Chemin, une enquête journalistique très documentée et bien écrite sur l’union entre Gary et Jean Seberg, célébrée en Corse dans le plus grand secret. Cela éclaire la facette du mystère qui entoure l’existence de Gary. Et bien entendu il faut également lire l’œuvre de Gary et La vie devant soi d’Ajar.

Voilà, je vous ai donc parlé d’Un certain M. Piekielny de François-Henri Désérable paru aux éditions Gallimard.

A lire ou relire pour connaitre Gary
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