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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

L'empire de l'or rouge

Enquête sur la tomate d'industrie

Enquête sur la tomate d'industrie

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à L'empire de l'or rouge le nouvel ouvrage de Jean-Baptiste Malet sous-titré Enquête mondiale sur la tomate d’industrie. Il a parcouru la planète, remonté les filières, pris des risques afin de déterminer la nature exacte du concentré de tomates qui inonde tous les pays. Son périple d’investigation l’a conduit de France en Chine, de Californie en Italie et au Ghana. Le résultat de ses recherches est inquiétant et atterrant.

En guise d’introduction il prévient que la tomate dont il est question ici n’a rien à voir avec le fruit d’origine sud-américaine qui se vend sur les étals des marchés et est consommé en salade ou en plat. La tomate d’industrie a été génétiquement modifiée pour répondre aux critères de l’industrie. Couleur, texture, fermeté, goût : rien ne rappelle la vraie tomate des champs. Afin de pouvoir être cueillie mécaniquement en Californie et manipulée par des automates puis transportée dans des conditions difficiles elle doit être dure pour résister aux chocs. Il est possible de jouer au foot avec sans l’abimer. Le journaliste précise le rôle de la société Heinz, producteur mondial de ketchup, dans la mise au point de l’ingrédient de base de ce produit : « la tomate d’industrie est un fruit artificiellement créé par des généticiens, dont les caractéristiques ont été pensées pour être parfaitement adaptées à sa transformation industrielle. Elle est une marchandise universelle qui, une fois transformée et conditionnée en baril, peut parcourir en distance plusieurs fois le tour de la Terre avant d’être consommée. (…). Le concentré de tomates est le produit industriel le plus accessible de l’ère capitaliste. » Cette tomate a vocation à être transformée pour en extraire le jus qui sera le substrat du futur double ou triple concentré. Mais que contient exactement ce produit ?

L’enquête de Malet est très documentée, elle se lit comme un véritable thriller. Une des questions qui le guident est de savoir comment la Chine a pu en quelques années gagner une place prépondérante sur le marché mondial avec sa production de tomates, alors même que le pays n’était pas traditionnellement un gros consommateur. Il cherche à comprendre ce qui explique cette récente émergence. Il indique que : « la plupart des ouvriers agricoles sont originaires du Sichuan, une province pauvre du centre-ouest de la Chine située à plus de trois mille kilomètres (des lieux de récolte) ; les autres sont ouïgours. » Le concentré est devenu universel, on en trouve partout. Cependant la qualité n’est pas équivalente dans toutes les boites. Attention, le pays d’origine sur l’étiquette ne garantit rien, certaines appellations sont trompeuses comme le révèle l’enquête. Désormais, les chinois possèdent de nombreuses entreprises de transformation de tomates européennes. La législation européenne permet des transformations à partir de substrat importé. Voici quelques chiffres sur l’activité portuaire italienne liée à ce produit : « en 2014, il a été déchargé sur les quais de Salerne près de 92 000 tonnes de triple concentré chinois, soit l’équivalent d’environ 69 millions d’euros de marchandise. (…). Les quatre plus grandes entreprises chinoises transformant des tomates ont donc produit en 2015, à elles seules, les trois quarts de la production chinoise officielle : 737 000 tonnes de concentré de tomates.» Un pacte entre les industriels italiens et l’armée chinoise est à l’origine de la prise de pouvoir de la Chine en quelques années sur la scène mondiale.  « Cofco Tunhe est la première compagnie de transformation de tomates d’industrie en Chine. C’est aussi le numéro deux mondial. (…). Le mastodonte chinois transforme annuellement 1,8 million de tonnes de tomates fraîches afin de produire 250 000 tonnes de concentré de tomates, soit un tiers de la production chinoise. Obtenu à partir de tomates cueillies dans des milliers de champs au Xinjiang (…) le concentré de tomates Cofco est une véritable matière première, exportée dans plus de quatre-vingts pays. » D’autres statistiques étayent l’enquête.

Parmi les scoops on retiendra les techniques privilégiées pour augmenter les bénéfices au détriment de la santé des consommateurs : « la méthode la plus courante est de couper (le concentré) avec des ingrédients moins chers que le concentré de tomates, comme l’amidon ou la fibre de soja, et d’y ajouter ensuite des colorants rouges afin de lui rendre un semblant de fraîcheur. » L’Afrique est le continent pauvre par excellence, la poubelle du Nord. Ainsi : « au Ghana, les cinq marques les plus importantes du marché sont désormais Pomo, Gino, Tasty Tom, La Vonce et Tam Tam. Toutes contiennent du concentré chinois et des additifs, ce qui, en soi, n’est pas illégal quand l’information est donnée au consommateur. » Bien entendu, ceci n’est pas mentionné sur les boites, l’acheteur est trompé. L’enquête démontre également l’implication de la mafia dans les rouages de la transformation de la tomate d’industrie chinoise. Les profits sont tels que le blanchiment d’argent sale utilise l’or rouge représenté par la tomate d’industrie.

A travers l’exemple du concentré de tomates, c’est toute la mondialisation qui s’incarne. Avec ses pires côtés : risque sanitaire, distance parcourue, recherche du profit, mafia napolitaine. Le livre est passionnant et révoltant. C’est une prise de conscience des méfaits de la mondialisation effrénée et de la course au profit sans limite. Une possible motivation pour refuser de consommer certains produits dont la nocivité ne fait plus de doute. Et bien entendu la sauce tomate en boite n’a plus la même saveur quand on sait sa composition et sa provenance réelles.

Voilà, je vous ai donc parlé de L'empire de l'or rouge de Jean-Baptiste Malet paru aux éditions Fayard.

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