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Culture tout azimut

Ce blog Culture tout azimut vous propose des articles sur des livres récemment lus. Les lecteurs sont invités à partager leurs points de vue.

Disparaître de soi

Un essai de Le Breton sur la blancheur, la mise à l'écart de l'identité et du lien social

Un essai de Le Breton sur la blancheur, la mise à l'écart de l'identité et du lien social

Aujourd’hui ma chronique est consacrée à Disparaître de soi de David Le Breton. En guise d’introduction voici quelques mots sur ce sociologue, psychologue de formation, dont les ouvrages sont souvent originaux et roboratifs. Celui dont il est question ici m’a moins convaincu que les précédents, néanmoins c’est encore une fois une recherche passionnante. Et comme je suis admiratif de son exploration du monde contemporain je vais essayer de vous transmettre mon plaisir de lecteur.

Voici pour commencer une liste non exhaustive de quelques uns de ses titres précédents : En souffrance, Expériences de la douleur, Anthropologie de la douleur, Du silence, Eclats de voix, Signes d’identité, La peau et la trace, L’adieu au corps. Les titres eux-mêmes sont signifiants et touchants. Le corps et l’adolescence sont des thèmes de prédilection pour David Le Breton. Il s’intéresse aux représentations du corps sous différents aspects. L’identité est le lien entre la plupart de ses recherches. Il a donc exploré aussi bien la douleur et la souffrance que les marques corporelles (tatouages et piercings en particulier mais pas seulement), la passion du risque que l’anorexie. Il a théorisé l’adolescence comme étant une période de la vie spécifique, ordalique, qui se manifeste par un besoin prégnant chez les jeunes d’éprouver leur corps, d’en tester la résistance et les limites. Enfin, je citerai son travail sur la voix et la force identitaire qu’elle porte. A travers cette rapide présentation on voit donc l’éclectisme de l’approche sociologique de David Le Breton. Je mentionnerai également son enquête sur le goût actuel pour la marche et la randonnée.

Venons en à Disparaître de soi. Ce texte est sous-titré Une tentation contemporaine. Voici un extrait du début qui donne le ton du sujet du livre et dévoile quelques clés sur cette tentation. « Nos existences parfois nous pèsent. Même pour un temps, nous aimerions prendre congé des nécessités qui leur sont liées. Se donner en quelque sorte des vacances de soi pour reprendre son souffle, se reposer. Si nos conditions d’existence sont sans doute meilleures que celles de nos ancêtres, elles ne dédouanent pas de l’essentiel qui consiste à donner une signification et une valeur à son existence, à se sentir relié aux autres, à éprouver le sentiment d’avoir sa place au sein du lien social. L’individualisation du sens, en libérant des traditions ou des valeurs communes, dégage de toute autorité. Chacun devient son propre maître et n’a de compte à rendre qu’à lui-même ». David Le Breton va donc explorer ce besoin contemporain de s’éloigner, provisoirement ou plus définitivement, du lien social auquel chacun est nécessairement attaché.

Sa réflexion s’appuie sur le concept de blancheur cette sorte d’absence à soi. La blancheur a été explorée par quelques écrivains renommés : Auster, Melville, Leiris, Pessoa. David Le Breton étaye son propos sur leurs écrits. Pourquoi se mettre à l’écart, ne plus décider de rien ? La marche est une forme heureuse de disparaître explique l’auteur. Cela permet la recherche de la simplicité, de la pureté, du dépouillement, la mise à l’écart du monde.

L’époque serait donc propice au fait de vouloir s’effacer, disparaître de soi. La volonté de disparaître de soi peut cependant mener vers des rivages inquiétants : toxicomanie, addiction, dépendance. Plusieurs figures de disparition de soi sont successivement abordées dans cet essai : Alzheimer, anorexie, djihadisme, burn-out, sectes. On peut également évoquer les SDF ou les jeunes en errance. Tous ces thèmes peuvent sembler hétéroclites, le lecteur peut craindre de se perdre. Néanmoins, l’auteur parvient à les relier et à convaincre de la pertinence de son approche théorique pour rendre compte de ces différents faits. L’adolescence est au cœur des travaux de Le Breton. Il l’illustre une fois encore avec cet essai. Ainsi, il évoque les adolescents japonais contemporains qui pendant des mois vivent isolés dans leur chambre, sorte de cloitre moderne, sans plus aucun contact avec leurs parents ou la société. Ils se mettent en position d’autisme social. Les chercheurs ont d’ailleurs inventé des mots pour décrire ce phénomène nippon. Ces adolescents se réfugient dans le cyberespace et se mettent à l’écart des autres. Ils vivent dans leur monde virtuel au milieu des jeux vidéo et des réseaux sociaux. Mais tant que l’on est vivant, on ne supprime jamais totalement les autres. A titre d’exemple, voyons ce que le sociologue nous dit de l’échappée vers le monde virtuel, incarné par internet, qui séduit nombre d’ados. « Les réseaux sociaux ou les mondes virtuels, les jeux vidéo, autorisent une démultiplication de soi à travers l’effacement d’un corps sexualisé et méconnaissable, étranger à soi et lourd de menace pour nombre d’adolescents, mais aussi pour des hommes et des femmes en porte-à-faux avec leur environnement. En revanche, leurs avatars vivent d’innombrables situations que la vie réelle interdirait en les contraignant à ôter le masque et à assumer leur identité. (…). Dans le cyberespace le fait de n’avoir ni corps ni visage autorise toutes les licences, l’individu devient qui il veut, le temps qu’il le souhaite. Ainsi de ce jeune homme disposant d’une dizaine d’identités virtuelles afin d’échapper à son existence réelle et qui dit tranquillement refuser de privilégier son identité avec un corps, qui lui est insupportable. (…). La fréquentation de l’Internet peut devenir une longue transe où l’adolescent fait abstraction du monde extérieur, il glisse dans une sorte d’état second qui dissout tout son intérêt pour les autres à son entour ou toute autre activité. Désincarné il est indifférent à ce qui se joue près de lui, imperméable à son entourage ».

Je n’ai évoqué que quelques thèmes développés dans le livre. On peut ne pas totalement adhérer aux théories de David Le Breton, néanmoins, force est d’admettre que ses interrogations sont pertinentes et qu’il nous incite à questionner le monde pour mieux le comprendre.

Voilà, je vous ai donc parlé de Disparaître de soi de David Le Breton paru chez Métaillié.

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