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22 Septembre 2016
David Le Bailly est journaliste politique à L’Obs, il officiait à Paris Match récemment. En 2014, il a publié La captive de Mitterrand une biographie non autorisée d’un des personnages les plus secrets de la galaxie de Mitterrandienne : Anne Pingeot. Le titre est proustien, d’ailleurs l’exergue est tiré de La prisonnière. C’est un livre empreint de respect et d’affection, malgré la difficulté que l’auteur a eu pour mener à bien son enquête. En effet, la plupart des protagonistes, à commencer par Anne Pingeot elle-même, ont refusé de lui parler. Des consignes circulaient pour inciter à la discrétion et au silence afin de protéger le secret, cultiver le mystère. David Le Bailly explique dans les premiers chapitres le choix de son sujet, le lien qu’il fait entre l’enfance de Mazarine et la sienne. Il raconte ses deux rencontres avortées avec Anne Pingeot et la furtive entrevue qui sont un terrible fiasco.
La tentative de biographie est honorable, même si au final beaucoup de questions restent sans réponse. Ce qui est appréciable c’est que le livre ne cherche pas à tout prix les révélations ni à s’attarder sur l’intimité du couple illégitime. En revanche, il peint avec tact l’extraordinaire histoire d’amour et la vie absolument exceptionnelle dans un secret quasi permanent de son héroïne. Bien que l’on comprenne que certains savaient. Mais à cette époque, des règles morales aujourd’hui oubliées, étaient respectées.
La biographie s’articule autour de lieux clés : Clermont-Ferrand, les Landes, Paris, le palais de l’Elysée, la Nièvre. Ces lieux l’auteur s’y rend pour chercher des indices, comprendre, percevoir. Anne Pingeot est issue d’une famille auvergnate cousine des Michelin. Ses valeurs familiales sont plutôt ancrées à droite. Elle rencontre François Mitterrand très jeune, lors de ses vacances estivales sur la côte Atlantique, ce sera l’amour unique de sa vie. Dans l’intimité elle l’appelle Cecchino. Voici un premier passage. « Il avait aimé son silence, sa discrétion, sa modestie. En femme toujours éprise, par une sorte de coquetterie post mortem, elle s’efforçait de continuer à lui plaire. Peu à peu, Mitterrand devient sa seule fenêtre sur le monde. Sa joie, sa croyance. Sa souffrance quand il s’en va rejoindre son épouse. » Anne Pingeot c’est la deuxième famille de Mitterrand, sa famille cachée. Jeune fille provinciale elle monte à Paris pour ses études. Elle veut devenir conservateur de musée, elle réussira le difficile concours à la seconde tentative. Elle est une femme de savoir, travailleuse, intelligente, assez austère. Une sorte de femme émancipée et autonome avant l’heure. Cela paraît étonnant mais c’est bien cela : à la fois moderne et tellement traditionnelle. Elle voudra un enfant de François Mitterrand, ce sera Mazarine. Un passage émouvant du récit c’est sa tristesse paradoxale le 10 mai 1981 avec l’élection suprême, qui signifie pour elle la perpétuation et même l’accentuation pour des raisons de sécurité du secret. L’auteur écrit : « Il en faut de l’acharnement pour atteindre ce point de non-existence, se fondre dans le vide, le néant, l’anonymat le plus total lorsque l’on vit si longtemps au côté de l’homme le plus connu de France, le président de la République. » Fidèle à son dévouement, elle accompagnera le mourant dans ses derniers moments, elle qui avait été mise dans la confidence de la maladie dès son apparition. Et le jour de ses obsèques, tout de noir vêtue elle figure enfin aux côtés de la famille officielle. Reconnaissance post-mortem de son existence tue à la nation.
Une des questions passionnante est le rôle d’Anne Pingeot dans la vie du pays, son influence sur les décisions du président de la République. Aucune certitude, mais il semble notamment que le choix de Pei pour la pyramide du Louvre, la rénovation du jardin des Tuileries en particulier le choix des statues et la poursuite du projet de création du musée d’Orsay (dont elle sera la responsable) ne soit pas étranger à Anne Pingeot. Le Bailly écrit : « Comme les reines ou les favorites sous l’Ancien Régime, Anne Pingeot a laissé sa marque sur le patrimoine national : Orsay, probablement le Grand Louvre. Mais aussi le réaménagement des Tuileries, là où plus jeune elle aimait se laisser envoûter par Cecchino. »
Cette biographie est nimbée de bienveillance et de tendresse, ce qui ne veut pas dire que l’auteur est béat devant Anne Pingeot. C’est le portrait d’une femme qui vit l’amour comme une abnégation totale, un dévouement sans limite. Mais elle n’a pas sacrifié sa carrière, elle est hautement estimable. Elle est fuyante, introvertie et secrète. La découvrir est passionnant.
Voilà, je vous ai parlé de La captive de Mitterrand de David Le Bailly paru chez Stock.
Musée d'Orsay dont elle fût conservatrice